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Entretien avec Guy Ausloos

l’étonnement, porte d’entrée dans les familles ?

Propos recueillis le 19 mars 2015, lors du colloque «Je suis né quelque part, laissez-moi ce repère » organisé par « Familles Plurielles ». Son sujet d’intervention : « les parents et leurs compétences comme repère pour les intervenants ».

Confronté à des difficultés dans l’aide à des familles, on a une tendance naturelle à poser un diagnostic qui pointe le dysfonctionnement en jeu. Celui-ci est nécessairement basé sur des concepts négatifs. Ce mode d’approche est certainement bien adapté pour l’analyse. Nos rapports, nos dossiers en sont remplis et c’est d’ailleurs par eux que nous « rencontrons » souvent pour la première fois une famille ou des personnes en problème. Mais cela coince quand il s’agit de mettre en œuvre une solution. Car les solutions se basent sur des compétences, des ressources que l’on doit nécessairement activer chez les jeunes, les parents dont on s’occupe. Ausloos propose d’arrêter de parler de famille dysfonctionnelle pour passer à une approche de famille fonctionnant autrement. Il enchaine sur : « une famille ne peut se poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre». 

L’entretien

comment peut-on rencontrer la compétence des familles lorsque l’image qu’elles renvoient est décrite en termes négatifs ?

il est important de changer notre regard, notre vocabulaire. Lorsque l’on parle de parents non collaborant, de mères surprotectrices…, rien que l’étiquette qu’on leur donne aggrave le problème. Par contre, les parents sont étonnés lorsque l’on relève leurs compétences 

Pour illustrer ce propos, on va reprendre une famille dont monsieur Ausloos a  expliqué le parcours dans son intervention au colloque susmentionné. Un père et son fils lui sont adressés au motif que le premier est alcoolique et ne s’occupe pas de son enfant. Il est chauffeur de poids lourd et à ce titre se lève tôt la semaine. Au cours de l’entretien vient sur le tapis la question de qui fait quoi le week-end. Le samedi, très tôt le matin (aux environs de 7h), le père se lève pour conduire son fils en compétition de baseball. Là au bord du terrain, il va à la buvette.

Guy Ausloos lui fait alors remarquer qu’il se lève tôt pour que son fils puisse pratiquer son sport préféré. Le père sans se départir répond qu’il le fait parce qu’il aime particulièrement ce sport-là. Alors il insiste sur le fait qu’il s’agit d’un jour de repos et qu’il fait cela parce qu’il aime son fils…et le père de dire « oui j’aime bien mon fils »…et ses yeux se remplissent de larmes.

Pourquoi l’étonnement provoque-t-il un changement ?

l’étonnement, c’est commencer à regarder un peu différemment. Si un parent commence à regarder un peu différemment son enfant, quelque chose va changer dans leur relation. Souvent, les parents sont heurtés par ce qui est le plus visible et occultent d’autres choses. Le rôle du thérapeute est d’informer les familles sur ce qu’elles savent sans savoir qu’elles le savent. Il s’agit d’activer un processus qui modifie leur réalité, de sorte que ce qu’il énonçait comme problématique ne le soit plus

Si on reprend la situation de la question précédente, on constatera que le côté le plus visible est l’alcoolisme du père et qu’il aime le baseball. Cela épuise le sens pour la famille. Pointer le fait de se lever très tôt chaque semaine lors d’un jour de congé amène automatiquement chacun à prendre conscience qu’il en faut plus pour accomplir cet acte. La motivation ici est le fait d’aimer.

Cela change pour le père lui-même puisqu’il dit avec émotion forte qu’il est profondément attaché à son enfant et qu’il ne fait pas tout cela parce qu’il aime le baseball.

Cela change pour le fils qui entend l’attachement de son père à lui et sa motivation profonde. Si auparavant, il croyait à la motivation pour le sport de son père, il entend cette fois autre chose.

Comme le dit Guy Ausloos, toutes ces informations la famille les avait déjà en sa possession.  

Comment étonner les familles ?

il est important de connoter positivement le système ou le patient désigné. C’est-à-dire souligner ce qu’il y a de positif dans le fonctionnement du système ou dans le comportement du patient. C’est passer d’une définition pathologique de la famille à l’activation de ses compétences. J’utilise la méchante connotation positive. Elle connote ce qui a gêné de manière positive. Je cherche ainsi l’aspect positif de ce qui déplaît. Je commence par dire ce qui est déplaisant et en tire comme conséquence la constatation positive en joignant les deux propositions par la conjonction « mais ». 

Cette manière d’utiliser le « mais » étonne l’interlocuteur. En commençant par aborder l’aspect négatif des choses ; on le rend attentif par ce fait même; ensuite on gagne sa confiance en se montrant honnête puisqu’on ose dire des choses qui ne sont pas nécessairement plaisantes et je place le « mais » qui affaiblit la proposition qui précède à savoir la négative pour terminer avec la connotation positive…

La prescription est une autre manière de provoquer l’étonnement. Proposer une expérience à faire afin que les membres de la famille observent leurs comportements permet déjà un changement. De plus, cela renforce l’alliance et l’adhésion de la famille au processus ».

Dans son livre « La compétence des familles », Guy Ausloos souligne que pour lui, toutes les familles ont des compétences mais dans certaines situations, soit elles ne savent pas les utiliser actuellement, soit elles ne savent pas qu’elles en ont, soit elles sont empêchées de les utiliser, soit elles s’empêchent elles-mêmes de les utiliser pour différentes raisons.

Le rôle de l’intervenant n’est plus de conseiller la famille ou d’identifier ce qui ne va pas pour elle, mais au contraire de travailler avec la famille à retrouver ou à découvrir ce qu’elle sait, à réinventer les solutions, à résoudre ses problèmes en la considérant comme partenaire dans l’intervention.

En définitive, pour recueillir toutes les opportunités des réactions liées à l’étonnement, privilégions notre créativité et favorisons les interventions les plus détonantes ! 

Nous sommes unis. Maintenant, qu’allons-nous faire ensemble ?

Article écrit par Isabelle Filliozat

Un carnage. 130 personnes tuées, 352 blessées. Consternation et dégout. Que de sang versé et de vies stoppées dans leur élan dans un effroyable accès de violence. Après l’attentat à Charlie hebdo et à l’hypercasher, nous étions descendus dans la rue, unis. Puis la vie avait repris son cours. Le rappel à l’ordre est brutal. Nous sommes en guerre et nous continuons de nourrir dans notre sein ceux là mêmes qui vont nous frapper. Notre société permet l’émergence de kamikazes. Est-elle gangrénée ou s’agit-il de quelques cellules cancéreuses ? Toujours est-il qu’elles mettent en danger tout le corps. Nous sommes sous le choc et répondons à nos enfants comme nous le pouvons. A la télévision, on entend des petits dire « C’est des méchants qui ont tué des gens.» sans que personne ne relève. Mais réfléchissons à l’impact de ces mots. Les kamikazes étaient convaincus d’être au service du bien, de tuer des méchants, des mécréants qui mettaient en danger leur sécurité. Cette opération était aussi une vengeance contre la France qui les avait frappés. Jusqu’à quand cette escalade de vengeances ?

L’ennemi, ce n’est pas l’islamiste, c’est la violence, c’est la simplification du monde en gentils et méchants.

Nombre de gens le comprennent aujourd’hui. Les messages d’amour pleuvent sur les réseaux sociaux : Nous sommes ensemble. Main dans la main. L’amour est plus fort que la haine. L’amour vaincra. La solidarité est partout, entraide, coopération, communion. Les français résistent à la tentation de la haine. Des méditations et des prières sont organisées pour que l’amour et la paix couvrent le monde. Mais attention, si elles nous mettent du côté des « bons » qui donnent de l’amour aux « méchants », elles risquent d’entretenir la violence qu’elles disent vouloir éradiquer. L’amour est une base, mais ce n’est pas suffisant. On ne peut se contenter de décréter la paix dans le monde. Il nous faut déraciner les causes de la violence, modifier notre société, traiter le terrain pour que ce cancer ne puisse métastaser.

Gardons nous de tout simplisme ou angélisme. Ces hommes qui ont commis ces actes terroristes ne sont ni de « mauvaises pommes », ni de pauvres victimes d’injustice sociale en mal de famille qui auraient mal tourné, ce sont des humains pris dans un phénomène psychosocial complexe que nous devons regarder en face.

La femme du français de 31 ans, qui s’est fait exploser bd Voltaire raconte qu’il ne travaillait pas, passait son temps à dormir, à fumer des joints et regarder des films. Il ne priait pas, la religion lui était indifférente, pourtant, il a tué en son nom. Ils sont radicalisés, mais souvent à peine musulmans. Dans son ouvrage Dans la peau d’une djihadiste, la journaliste Anna Erelle confirme que la plupart des personnes avec lesquelles elle a été en contact ne maitrisent guère la religion musulmane. La cause est ailleurs.

Le frère recherché par toutes les polices, Salah Abdeslam, a-t-il craqué au moment de passer à l’acte ? Il ne s’est pas fait exploser dans le 18ème comme c’était apparemment prévu. Les personnes qui l’ont exfiltré vers la Belgique ont dit qu’il portait encore sa ceinture d’explosifs et était dans un état de choc. Qu’est-ce qui l’a amené à s’engager dans cette voie ? Qu’est-ce qui les a tous motivés ?

L’humain a deux besoins fondamentaux, appartenir et exister.

Parce que nous sommes une espèce sociale, nous avons besoin de nous sentir faire partie d’une famille, d’être reconnu. Et parce que nous avons un cerveau préfrontal qui nous confère notre libre arbitre, notre sentiment d’individualité, nous avons besoin d’exister. Exister, de ex-sistere, se tenir hors, se dresser, se montrer. Nous avons besoin d’être signifiants, de nous réaliser, d’être utiles. La violence n’est pas l’apanage des djihadistes, elle surgit comme réponse quand des hommes ont faim de ces deux besoins. Sur Rue89, on peut entendre le témoignage d’anciens membres des Black Dragons. « Tu ne te trouves pas là dedans par hasard. Il faut avoir un problème. On voulait trouver une famille, on avait un besoin de reconnaissance. (…) On avait une cause : éradiquer les skins et on voulait se faire un nom. On avait une famille, le gang avec un code d’honneur. » Appartenir, exister.

Un film vient tout juste de sortir, The Stanford experimentLe voir, peut-être en groupes pour en discuter ensuite, me paraît une nécessité absolue pour comprendre certains ressorts du mal. Le film met en scène l’expérience de Philip Zimbardo, menée en 1971 à l’université de Stanford. Pendant quinze jours, des étudiants auparavant testés comme étant sans aucun problème psychique, intègres et moraux, sont divisés en deux groupes, les prisonniers et les surveillants. Ils vont simuler la vie en prison. Au bout de six jours, les chercheurs sont contraints de stopper l’expérience tant la situation devient incontrôlable. La violence des surveillants se déchaine sur les prisonniers, alors même qu’ils savent que ce ne sont que des étudiants comme eux. Les prisonniers entrent eux aussi dans la peau des prisonniers (http://www.prisonexp.org, on trouve aussi une page sur facebook). Zimbardo, choqué, a mis vingt ans à écrire son livre sur cette expérience qui montre comment des gens normalement bons peuvent se tourner vers le mal. Et ce n’est qu’aujourd’hui qu’un film peut sortir, tant les révélations de cette expérience sont difficiles à intégrer. Pourtant elles sont centrales pour faire cesser les actes barbares. Nier la réalité ne permet pas à un cancer de ne pas se développer. Quand les exactions de la prison d’Abu Grahib en Irak ont été dénoncées par Amnesty International, le Président Bush a voulu faire croire à de « mauvaises pommes ». Mais il a été démontré que c’était loin d’être le cas. Partout dans les prisons, torture, viols, meurtres avaient cours. Avant de se retrouver en Irak en position de bourreaux, ces soldats étaient des hommes et des femmes respectueux des lois, sensibles et attentifs à autrui. Interrogé sur Abu Grahib, Zimbardo fait le parallèle avec son expérimentation à Stanford et souligne que les étudiants recrutés dans son expérience étaient de bonnes pommes avant de se transformer en quelques jours en bourreaux sadiques.

Il n’y a pas les bons et les méchants. Il y a des phénomènes psychosociaux que nous devons reconnaître.

Et regarder aussi en face que les musulmans ne sont pas les seuls à produire des extrémistes. Sabra et Chatila, c’était le 16 septembre 1982, à Beyrouth. Des groupes de miliciens chrétiens ont attaqué hommes, femmes et enfants dans des camps palestiniens, faisant le plus grand massacre de civils de la guerre du Liban. Plus d’un millier de morts en deux jours et trois nuits. Le film Massaker donne la parole aux tueurs. Un documentaire poignant : « Notre devise était : les grands, les petits, les nouveau-nés, pas de pitié ! » « Des ordres arrivaient, on exécutait ». En les écoutant, on comprend l’engrenage dans lequel ils ont été pris, comment ils en sont venus à cette violence extrême, comment ils y ont été entrainés. Pourquoi le conseil de l’ONU a-t-il refusé toute enquête ? Le Liban a prononcé l’amnistie. Mais il est important que ce ne soit pas recouvert par une pudique amnésie. Nous avons besoin de comprendre pour tirer les enseignements.

Pourquoi et comment devient-on une bombe humaine ? Eyad el-Sarraj, psychiatre de Gaza (Courrier International n°597, 11 au 17 avril 2002) nomme le désir de revanche, la honte et l’impuissance. En faisant le maximum de dégâts aux terrasses des restaurants ils ont le sentiment de retrouver leur honneur. Les civils font partie de l’ennemi parce qu’ils scindent le monde en deux : nous/ les autres. Le psychiatre rappelle qu’ils se parent de grands mots, mais que derrière chaque cas de martyre se cache une tragédie et un traumatisme personnel. Les motivations sont au croisement d’un désir de se venger, et d’un désir de rejoindre le paradis, même s’ils ne sont pas religieux !

Quand un jeune ou un moins jeune a une faible image de lui-même, et qu’en échange de son acceptation comme membre on lui demande de sacrifier sa morale personnelle pour le bien de l’équipe, c’est quasi irrésistible.

Philip Zimbardo

Au sein de son livre Dans la peau d’une djihadiste (Robert Laffont),la journaliste Anna Erelle qui s’est fait passer pour une recrue en puissance décrit ce qu’elle a vécu sous le pseudo de Mélanie. Son contact voulait l’épouser, lui disait l’aimer plus que personne ne saurait l’aimer… Besoin d’appartenir. Sur internet une jeune fille de 18 ans témoigne : J’ai visionné des vidéos, j’ai vu les massacres en Palestine. Après cela, elle ne voulait plus sortir de chez elle, et visionnait vidéo sur vidéo. Son désir de sauver les palestiniens grandissant. C’était une cause juste… Besoin d’exister. Cette adolescente a été sauvée à temps par une spécialiste du désendoctrinement à qui ses parents ont fait appel. Aujourd’hui, elle se demande : « Même moi, je me dis : comment j’ai fait pour en arriver là ? »

Sur les réseaux sociaux, les recruteurs de l’Etat Islamique utilisent le même filon. Ils montrent des images de massacres attribués à Bachar El Assad, ils font appel à la corde sensible, l’envie d’aider autrui, de faire une différence dans ce monde pour plus de justice.

Chaque fois, on dit « jamais plus » et ça recommence. Ici ou ailleurs.

Il nous faut réaliser que si les besoins fondamentaux d’appartenance et d’existence ne sont pas remplis, si les jeunes ne se sentent pas utiles et importants pour la société, s’ils se sentent rejetés et impuissants, ils continueront d’être des cibles des recruteurs. Mais ce n’est encore pas suffisant. Il nous faut aussi identifier les différentes formes d’influence sociale à l’œuvre et équiper nos enfants, tous les enfants de la terre, pour qu’ils sachent résister à ces influences. L’Etat Islamique utilise toutes les subtilités de l’influence sociale, appartenance au groupe, obligation de réciprocité qui rend la personne débitrice envers son « bienfaiteur », un premier petit engagement, puis une exigence future cohérente avec ce premier engagement que la personne n’arrive donc pas à refuser sous peine de se retrouver en dissonance cognitive. Preuve sociale, les autres le font, regarde, pourquoi pas toi ? Besoin de reconnaissance : nous on t’aime. En France, personne ne se préoccupe de toi. Ils manient bien sûr la soumission à l’autorité. Et la promesse d’une denrée rare: Tout le monde n’est pas admis au paradis.

Pour permettre à nos enfants de résister à ces influences, il est important de les éduquer à la responsabilité plutôt qu’à l’obéissance, au sens critique, à la conscience de soi et de ses actes

A utiliser l’erreur comme de l’information, à savoir ne pas persister quand on réalise qu’on a emprunté une mauvaise voie, à tolérer l’angoisse et la honte plutôt que de les cacher sous l’agressivité. Bien sûr, pour cela, ils ont besoin d’une bonne base d’attachement sécure. Si nous ne voulons plus que ça recommence, la non-violence éducative est une nécessité, tant à la maison qu’à l’école. Il nous faut aussi permettre à chacun d’être intégré dans le groupe social tout en étant reconnu dans son individualité, pour mieux résister aux phénomènes d’influence sociale dont certains groupes ivres de pouvoir risqueraient d’user.

Quand un fumeur déclenche un cancer, toutes les cellules de son corps ne sont pas cancéreuses. Mais le corps entier est fragilisé proposant un terrain fertile pour le développement d’une tumeur. Même si l’attaque centrée sur la tumeur est utile, les métastases sont dangereuses. Pour guérir vraiment, l’ablation ne suffit pas toujours. Seule la modification du terrain par un changement de nos habitudes peut écarter le risque de récidive. Pour ce cancer social qu’est la violence, il nous faut cesser de nourrir la haine, la honte, l’impuissance et le désespoir. Chacun d’entre nous peut être attentif à ce que son voisin se sente faire partie de la communauté. Il n’y a pas « les terroristes », il y a des actes terroristes, commis de plus en situation de guerre, par des personnes aux motivations et aux parcours divers. Agir sur ces parcours, développer nos intelligences émotionnelle et relationnelle, être attentifs aux besoins fondamentaux de chacun, développer la résistance aux influences sociales, c’est notre seule chance.

Mesurons combien l’empathie, l’aide à autrui, s’engager pour une cause, sont engrammés dans l’ADN de tous les humains. Faute d’ouvrir des possibles à nos jeunes pour qu’ils puissent développer dans leur quotidien ces qualités profondément humaines, ils seront exposés aux marchands de rêve. Suite aux attentats, les jeunes français délaissent leurs jeux vidéo violents et s’engagent en masse dans l’armée, non pour en découdre, mais pour protéger, pour être utiles. L’armée n’est pas la seule voie de la protection d’autrui. Pour un corps social en bonne santé, chaque cellule a besoin de se réaliser, de s’engager pour une cause. L’amour nait du lien. La joie nait de la réalisation de soi, du pouvoir que nous exerçons, de l’engagement envers des valeurs. L’amour et le pouvoir sont les deux jambes qui nous permettent de marcher. L’amour seul laisse faire n’importe quoi. Le pouvoir seul devient abus. 

Si chaque adolescent peut sentir qu’il fait une différence, qu’il a du pouvoir sur le monde pour le rendre meilleur, alors notre corps social pourra guérir.

Le pouvoir lié à l’empathie est source de joie. Là où il y a amour et joie, le cancer n’a plus de place pour se développer.

Isabelle FILLIOZAT

Familles Plurielles : Robert Neuburger et Edith Goldbeter

« Comment les enfants construisent-ils leur sentiment de continuité au-delà des ruptures ? »

Colloque organisé par Familles Plurielles. Mars 2017
Intervention de Robert Neuburger

Robert Neuburger est psychiatre, psychanalyste, thérapeute de couples et de familles à Paris.  Il est également Professeur honoraire de psychologie clinique à l’Université Libre de Bruxelles et directeur scientifique du CEFA (Centre d’Etude de la Famille Association). 

Neuburger ouvre cette journée de conférence en axant son intervention sur la nécessité de soigner les relations, les liens dans lesquels se trouve l’enfant. Il défend en effet que, « pour que l’enfant puisse exister au mieux au carrefour de ses appartenances, il convient d’être attentif à ne pas créer de conflit de loyauté entre ses accueillants et ses parents d’origines. Pour cela, il importe que l’enfant sache que ses parents bénéficient, au moins autant que lui, de l’attention et du respect, voire des soins qui leurs sont nécessaires ».

Une des pistes abordées est celle portant sur les bénéfices de travailler avec le mythe familial qui constitue une base identitaire pour chacun des membres. Le mythe familial est définit  comme étant le ciment qui structure, unifie, donne l’identité au groupe (la famille), le différencie du monde extérieur, crée une différence. C’est ce qui constitue la « personnalité » d’une famille. 1)Neuburger, R.  « Le mythe familial ». ESF editeur. Coll. Art de la psychothérapie.. (2011). 199 p.

Dans le cas où ce support identitaire est pauvre en éléments pour l’enfant, tel que le considère Monsieur Neuburger dans « les familles qui ne sont pas de réelles familles, car elles n’ont rien à transmettre, il conviendra alors aux intervenants de réintroduire des éléments. Il peut s’agir par exemple de poser des questions telles que : votre fiston, il ressemble à qui dans votre famille ? ; Au niveau de vos parents, quelles valeurs voulaient-ils vous transmettre ? ». Robert Neuburger parle alors d’un réapprentissage de ce qu’est une famille.

En prenant le cas d’enfants devant grandir ailleurs que dans leur famille biologique, il convient également de pouvoir travailler son mythe familial et de reconnaitre la place de ses parents dans sa vie. De plus, il faudra veiller à ce que l’enfant ne se trouver pas  bloqué dans une position conflictuelle où celui-ci doit en quelque sorte choisir de s’identifier, de se sentir appartenir à un seul de ces milieux de vie, de ces systèmes (familial, accueillant, institutionnel). Travailler le mythe familial, donner une place aux parents, bien qu’ils puissent être absents physiquement, c’est permettre à l’enfant de se construire une histoire de vie, une identité où chaque partie de sa vie peut être assemblée, pensée dans un tout. 

Monsieur Neuburger considère à ce propos « qu’il est alors important de pouvoir aller chercher dans ces familles ce qui subsiste, et même dans les familles les plus dysfonctionnelles ont peut trouver des compétences qui permettent de les reconnaitre ».  Dans son livre « Les familles qui ont la tête à l’envers 2)Neuburger, R.  « Les familles qui ont la tête à l’envers. Revivre après un traumatisme familial ». Odile Jacob. Paris. (2012). 179 p » Robert Neuburger présente les causes, les mécanismes ainsi que les conséquences de ces mythes familiaux défectueux. Il consacre également une deuxième partie à la manière d’aider ces familles, grâce à ce qu’il nomme « Les trois R », à savoir : Re-connaître, Re-mythifier et enfin Re-ritualiser. 

Intervention d’Edith Goldbeter

La deuxième partie de cette matinée est laissée à  Edith Goldbeter qui apporte une réflexion à propos des temporalités de l’enfant « situé parfois à l’intersection d’histoires, de systèmes multiples qui non seulement ne sont pas synchrones, mais imposent des discontinuités, des lenteurs ou des accélérations ». 

Madame Goldbeter est Docteure en psychologie et psychothérapeute familiale systémique. Elle est Professeur honoraire à l’Université Libre de Bruxelles et directrice de formation à l’Institution d’Etudes de la Famille et des Systèmes Humains de Bruxelles. Elle est un des membres fondateurs  de l’Association Européenne de Thérapie Familiale, ainsi que  Rédactrice en chef des « Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux ». 

Il paraît nécessaire d’avoir une vision globale comprenant d’une part les temporalités individuelles (biologique, psychologique) tant de l’enfant que des personnes qui l’entoure, et d’autre part les temporalités des structures qui encadrent, qui participent au développement des enfants. Il s’agit là pour Mme Goldbeter d’une « temporalité systémique mais où l’aspect individuel pour chaque membre du système vient ajouter un certain poids dans cet enchevêtrement des différentes chronologies ». 

La vie de chaque personne est faite de ruptures. Les ruptures, les changements, ne sont pas en tant que tels traumatisants, porteurs de conséquences néfastes pour l’individu. En revanche, dans ces situations où des jeunes enfants sont amenés à vivre de nombreuses ruptures, il paraît important de pouvoir garder un fil conducteur prenant en compte ces transitions. 

L’intégration, la compréhension de son histoire, de son passé est nécessaire pour chacun afin d’être capable de se projet dans l’avenir, de construire des plans, des projets. 

Nous pouvons terminer en faisant une parenthèse sur un outil développé à l’intention des professionnels se succédant dans la vie des enfants. Les bénéfices de travailler avec l’outil « Le Fil Rouge3)Outil rédigé au sein de la Plate-forme Fil Rouge. Il a été soumis à la commission de déontologie et est transmis exclusivement à des services mandatés. Pour de plus amples informations : claire.meyer@notreabri.be ». a été mis en avant par Claire Meyer, directrice du SASPE Notre abri. Le Fil Rouge est un document qui recueille les informations objectives à propos de l’histoire de l’enfant. Cet outil peut permettre, d’une part, de faire prendre conscience de l’effet durable des professionnels dans la vie des enfants et, d’autre part, il permet un respect des traces du passé et la construction de projet d’avenir. Il peut apporter un sentiment de cohérence à son vécu, du sens à ses comportements mais également permettre à l’enfant de s’approprier son histoire. 

References   [ + ]

1. Neuburger, R.  « Le mythe familial ». ESF editeur. Coll. Art de la psychothérapie.. (2011). 199 p.
2. Neuburger, R.  « Les familles qui ont la tête à l’envers. Revivre après un traumatisme familial ». Odile Jacob. Paris. (2012). 179 p
3. Outil rédigé au sein de la Plate-forme Fil Rouge. Il a été soumis à la commission de déontologie et est transmis exclusivement à des services mandatés. Pour de plus amples informations : claire.meyer@notreabri.be ».

Whynet?

Un outil de réflexion autour d’Internet

Les nouvelles technologies de la communication (internet, smartphone…) et de l’information créent une rupture avec tout ce que l’on a connu par le passé dans l’organisation des relations humaines d’une part et de l’autre elles mutent à un rythme impressionnant… elles suscitent autant des réactions attrayantes et d’engouements que la peur et une attitude de réserve. Comment s’y prendre ?

Ce paradoxe pose de nombreux problèmes tant aux jeunes très utilisateurs qu’aux adultes qui les encadrent. Pascal Minotte, psychologue et directeur du CRéSaM qui est le Centre de Référence en Santé Mental, précise que « cette attitude est celle que l’on retrouve tout au long de l’histoire de l’homme face à des nouvelles technologies »1)Interview de P Minotte le jeudi 1 octobre 2015 lors de la conférence de presse à propos de Whynet.. Une position de repli, de retrait devient de plus en plus difficile à tenir vu l’ampleur du phénomène :

  • entre 2003 et 2012, le pourcentage de ménage (avec enfants) possédant une connexion Internet est passé de 20% à 90% en Belgique,
  • l’avènement des réseaux sociaux débute avec Facebook en 2004 qui compte aujourd’hui plus de 1,2 milliard d’utilisateurs. En Belgique, il y a plus de 5 millions d’utilisateurs dont 700.000 sont âgés entre 13 et 17 ans. Et nous parlons que de Facebook. Ces chiffres sont en constantes croissances. La même évolution exponentielle peut être appliquée à Twitter, Google, YouTube,…
  • en 2013, plus de 45% des personnes surfent sur le net via leur smartphone et l’utilisation de ceux-ci comme des tablettes ont progressé de 7%.

Cela ne s’arrête pas là puisqu’on retrouve ces procédés de communication dans le monde du travail avec par exemple l’application Uber. Sur ce même mode de fonctionnement, outre atlantique, travail aussi des plombiers, menuisiers… et à Paris cela est proposé comme on a pu le voir dans le journal télévisé français avec des serruriers, des coursiers…le monde du travail est confronté maintenant au phénomène2)Le journal Le Soir du mardi 6 octobre 2015 en page économique : « Des petits boulots, oui. Un contrat, non. » de A Cloot.. Cette réalité s’est imposée sans parfois avoir été souhaitée. Henri Ford, célèbre constructeur de voiture, précisa la démarche par cette petite phrase : «Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides » mais pas une automobile…il faut savoir que son auto la Ford T a été jusqu’à atteindre la moitié du nombre de voiture aux USA. 

En fonction de tout ce que l’on vient d’écrire, notre proposition pour aborder cette question d’Internet est de développer ses bons usages et donc de développer l’éducation aux médias. Pour ce faire nous pensons qu’il faut :

Etre Informé:

  • sur les questions de droit à l’image et de protection de la vie privée. La connaissance de la législation peut éviter certaines dérives.
  • au sujet du modèle économique qui permet la gratuité des services sur le Net (Facebook, Google, YouTube,…).
  • sur les trucs et astuces pour surfer de manière optimale.

Ouvrir le débat sur des questions telles que :

  • Internet comme outil d’information et de recherche.
  • Internet comme outil de diffusion, d’expression et de communication (comprenant aussi le rapport à l’image : le pouvoir mais aussi l’importance donnée à l’image).
  • Internet comme outil de consommation.

Sensibiliser les parents à ces questions et leur donner des références pour s’informer sur le sujet.

Il ne faut pas être un spécialiste d’Internet pour en parler avec ses enfants. Si on pointe souvent ce qui change, il faut savoir qu’avant tout les nouvelles technologies permettent de créer du sens, créer du lien et fixer des souvenirs. Sur ces points rien ne changent entre les générations et en outre comme le rôle des parents est aussi de transmettre des valeurs, nous restons tous compétents pour en parler.

Plusieurs services  d’Aide en Milieu Ouvert ainsi qu’un SARE ont créé un jeu nommé « Whynet ». C’est un outil qui permet de réfléchir avec les jeunes (11-15ans)  sur des questions liées à Internet et aux nouvelles technologies.   Pour plus  d’information, …cliquez ici.  

References   [ + ]

1. Interview de P Minotte le jeudi 1 octobre 2015 lors de la conférence de presse à propos de Whynet.
2. Le journal Le Soir du mardi 6 octobre 2015 en page économique : « Des petits boulots, oui. Un contrat, non. » de A Cloot.

La Coopération

Coopérer pour prévenir la violence ?

L’actualité nous invite à nous poser une question essentielle : Comment prévenir la violence ? Une des mesures les plus préventives qui soit est l’éducation mais on peut légitimement se poser la question de savoir si l’éducation de chacun viendra à bout de la violence. Bien tristement, l’histoire nous enseigne que ce sont les personnes les plus instruites dans les pays les plus développés qui ont fait preuve du plus de cruauté dans ce monde.

C’est que l’éducation est à différencier de l’instruction… au-delà du savoir, il s’agirait donc de transmettre certaines habilités, permettre de développer certaines compétences et satisfaire les besoins psycho-sociaux essentiels des enfants pour éduquer à la paix. Diminuer la concurrence trop présente serait déjà un premier pas quand on se dit qu’être en concurrence c’est déjà un peu se faire la guerre… 

L’idée serait alors de promouvoir une éducation qui développerait l’estime de soi et la confiance, mais surtout l’appartenance, l’empathie et la solidarité; des ingrédients que l’on retrouve dans les activités coopératives. 

Dès la maternelle  

Afin de prévenir la violence omniprésente dans les écoles, Michelle Waelput et Delphine Druart 1)Michelle Waelput est psychopédagogue et Delphine Druart est inspectrice cantonale  encouragent l’instauration de méthodes coopératives dans les groupes classes, sous forme de jeux dits de coopération. En effet, instaurer de telles méthodes d’apprentissage a pour effet d’améliorer l’ambiance de classe et de ce fait, diminuer la violence entre pairs. 

De plus,  « Apprendre la coopération dès le plus jeune âge atténue les conflits, régule les tensions, assure une meilleure compréhension de l’autre, enrichit les interactions sociales et améliore les compétences cognitives des enfants.» 2)M. Waelput et M. Druart, « Coopérer pour prévenir la violence », De Boeck, 2009.

Mais instaurer une telle pédagogie requiert certains préalables.

En effet, le premier outil utilisé est le dialogue : pour mettre des mots sur ses émotions et sentiments, sur le sens que l’on donne aux comportements et développer ainsi l’estime de soi et l’empathie. Dialogue pour répondre à la violence (plutôt que d’utiliser la punition). Dialogue aussi pour régler les conflits ; Enfin, dialogue pour créer un climat sécurisant, pour aborder le cadre du vivre ensemble… 

À travers la coopération, l’enseignant peut ainsi promouvoir certaines valeurs indispensables telles le respect, l’entraide, l’ouverture, la solidarité mais aussi  développer la plupart des habiletés sociales que sont :

  • les habiletés d’autocontrôle : gérer la frustration, attendre son tour, prendre sa place… ;
  • les habiletés de gestion de conflits : négocier, prendre des décisions ;
  • les habiletés d’affirmation de soi : faire des demandes, donner son avis, considérer l’autre… 

Qu’est-ce qu’une activité de coopération ?

Terry Orlick définit 4 facteurs psychosociaux déterminant les activités de nature coopérative : 

  • La coopération : ce facteur comprend la communication, la cohésion, la confiance et l’établissement de relations interpersonnelles positives; le mot clé est l’entraide.
  • L’acceptation : les participants doivent s’accepter tels qu’ils sont. Voilà l’un des facteurs les plus importants des activités coopératives ; personne n’est éliminé ni rejeté par le groupe.
  • L’engagement : chaque personne contribue à la réussite de la tâche commune selon ses capacités. Tous pour un et un pour tous.
  • Le plaisir : les participants jouent pour s’amuser avant tout. Si un jeu ou un sport est dénué de plaisir, c’est qu’il a perdu son vrai sens.

La solidarité est la base de toute coopération. Chaque participant est important ; il est considéré avec ses compétences. 

Ce qui nous importe le plus dans un jeu de coopération ce n’est pas le résultat final mais bien le processus mis en œuvre par chaque participant au sein du groupe pour atteindre le but final. 

Il est également important de préciser que la notion de plaisir doit rester au centre de tous les autres objectifs !

Et les travaux de groupe ?

Remarquons que les travaux de groupe sont aussi un bon moyen d’amener les enfants à coopérer : Le travail en groupe permet aux enfants de résoudre une tâche en co-construisant la solution. Non seulement les interactions entre les enfants favorisent leur socialisation (ils doivent donner leur opinion, argumenter, organiser un travail en commun, trouver leur place, prendre en compte les autres, …) mais de plus, le rôle constructif de ces interactions entre pairs dans le développement cognitif est souligné et ce si ces interactions sont symétriques. 3)Pourtois et Desmet dans l’Education Postmoderne, Editions PUF, 2002

Le rôle de l’enseignant, primordial, est d’assurer la symétrie des relations (relations égalitaires) : il devra veiller à la participation de tous, à ce que le groupe trouve un moyen de prendre des décisions et qu’il les respecte.

Il est certain que les équipes ne vont pas suivre à la lettre les attentes établies mais apprendre à bien s’entendre est un apprentissage qui prend du temps et requiert de la patience. Amener les enfants à travailler en équipe, à partager leurs idées et s’enrichir de cette co-construction leur servira toute leur vie.

L’importance du dialogue …

Que ce soit après un groupe de travail coopératif ou un jeu coopératif, il est essentiel de débriefer. Le débriefing est un moment qui permet de réfléchir sur ce que les enfants viennent de vivre (comment ça a fonctionné ?), de mettre des mots sur les ressentis. Cela permet aussi de renforcer les apprentissages, en réfléchissant aux stratégies les plus aidantes.

En conclusion 

La mise en place d’activités de coopération semble être un pas à franchir mais n’est sans doute pas suffisant pour endiguer la violence. La coopération doit inspirer le modèle éducatif, tant à l’école qu’à la maison. Une éducation ferme et bienveillante 4)Jane Nelsen, La discipline Positive, Edition du Toucan, 2012 s’inspire du modèle coopératif, en ce sens qu’il met en avant le rapport égalitataire 5)Jean-Paul Gaillard, Enfants et adolescents en mutation, Editions ESF, 2014 (et non pas le rapport de soumission/domination), le développement de l’estime de soi et l’empathie (par l’écoute, l’encouragement et le dialogue), la responsabilisation des enfants et  la recherche de solution en cas de « mauvais » comportement (plutôt que la punition).

References   [ + ]

1. Michelle Waelput est psychopédagogue et Delphine Druart est inspectrice cantonale
2. M. Waelput et M. Druart, « Coopérer pour prévenir la violence », De Boeck, 2009.
3. Pourtois et Desmet dans l’Education Postmoderne, Editions PUF, 2002
4. Jane Nelsen, La discipline Positive, Edition du Toucan, 2012
5. Jean-Paul Gaillard, Enfants et adolescents en mutation, Editions ESF, 2014

L’empathie

Développer l’empathie, un bon moyen de prévenir la violence ?

Dans une société de plus en plus individualiste, où la performance et surtout la concurrence sont des valeurs fortes, parler d’empathie devient de plus en plus fréquent lorsqu’il s’agit de réfléchir aux moyens de prévenir la violence. Ce qui nous amène à nous poser cette question : développer l’empathie permet-il réellement de prévenir la violence ?

Mais au juste, qu’est-ce que l’empathie ?

Communément, on nomme empathie la  faculté de se mettre à la place des autres et de comprendre ses sentiments. Pour Jean Decety1)Jean Decety est neuroscientifique spécialisé dans les neurosciences affectives et sociales, Travaillant au département de psychologie de l’université de Chicago, spécialiste de l’empathie , il y a deux définitions de l’empathie. Dans la première, l’empathie désigne un sentiment de partage et de compréhension affective qui témoigne de mécanismes intersubjectifs propre à l’espèce humaine. Dans la deuxième définition, c’est une émotion particulière, ou une attitude  qui conduit à des comportements pro-sociaux altruistes (une définition proche de la sympathie dans son usage en langue anglaise)2)Dans « Neurosciences : les mécanismes de l’empathie »  Entretien avec Jean Decety, Sciences Humaines, N°150, Juin 2004.

.

Cette faculté de comprendre les émotions des autres est donc très importante pour s’adapter au milieu social dans lequel chacun d’entre nous évolue.

Si on s’en tient à la première définition, cette faculté d’empathie peut être utilisée différemment selon les motivations et personnalité : les plus grands bourreaux ont justement pu faire preuve d’empathie pour savoir appuyer « là où ça fait mal » face à leurs victimes…

Par contre, la deuxième définition de l’empathie (considérée comme une attitude orientée vers le bien d’autrui), s’inscrit dans les mécanismes altruistes particulièrement évolués dans l’espèce humaine.3)Dans « Neurosciences : les mécanismes de l’empathie »  Entretien avec Jean Decety, Revue Sciences Humaines, N°150, Juin 2004.

Selon Serge Tisseron 4)Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010. , il y a plusieurs niveaux à l’empathie : le premier niveau est celui de l’empathie cognitive qui est le fait d’avoir une représentation de ce qu’éprouve autrui ; le second niveau est celui de l’empathie émotionnelle qui est le fait d’entrer en résonnance avec les émotions de l’autre ; Mais pour rendre compte de la complexité de l’empathie,il faut tenir compte d’un troisième niveau qui est le fait d’accepter que mon interlocuteur se mettre à ma place et m’y questionne de façon à ce que le regard qu’il porte sur moi me permette de me découvrir autrement. L’empathie est alors un processus dynamique qui nécessite de reconnaître l’existence d’une condition humaine partagée.

Serge Tisseron relève aussi qu’une des dimensions de l’empathie est la préoccupation de l’autre qui mobilise des comportements d’entraide.

Quand on précise le concept d’empathie tel ci-avant, il est évident que lorsque la violence s’exprime, l’empathie fait défaut. 

Quels sont les freins à l’empathie ?

Le principal ennemi de l’empathie est le désir d’emprise qui habite chacun d’entre nous ; c’est donc l’envie qu’a chacun de maîtriser son prochain qui est déterminante.5)Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010. 

L’empathie n’est pas comme une caractéristique que l’on a ou que l’on a pas, comme si soit on ressentait de l’empathie pour tout le monde, soit pour personne. Bien souvent, nous ressentons de l’empathie pour les gens qui appartiennent au même groupe que nous, à la même famille, au même groupe religieux, au même groupe ethnique, voire au même groupe de supporter de foot… ce qui n’empêche pas de ne pas ressentir d’empathie pour le reste du monde. Celui qui est censé être différent de nous n’est pas considéré comme capable de nous renvoyer quelque chose sur nous-même 6)Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010.(3ème niveau de l’empathie), ce qui conduit à ce que des personnes qui ont été de  « bons pères de famille »  se retrouvent bourreaux dans d’autre contexte. 

Quels sont les moyens de la cultiver? 

Comme une petite graine qui peut germer, l’on peut cultiver l’empathie chez chacun d’entre nous. Les dernières recherches en neurosciences démontrent que les nourrissons comprennent les émotions des gens qui les entourent (c’est inné), et que les petits enfants peuvent faire preuve de comportements pro-sociaux et altruistes spontanément, sans qu’on leur ait appris. Néanmoins, l’on peut développer l’empathie et comme les qualités favorisant l’empathie sont une estime de soi adaptée et une certaine confiance dans le monde, l’on comprend que l’environnement a un rôle prépondérant.

Montrer l’exemple : Bienveillance et fermeté 7)« La discipline positive » Jane Nelsen, 2012, Edts Toucan

L’empathie s’apprend d’abord en suivant l’exemple des adultes qui entourent l’enfant. Si les adultes tendent de comprendre les ressentis, de les reconnaître et aident les enfants à verbaliser leur émotions, non seulement les adultes les aident à gérer leurs émotions mais en plus, ils leur apprennent à reconnaître les émotions chez les autres. 

Donc la posture bienveillante de l’adulte aide l’enfant à développer son empathie.

Toutefois, la bienveillance ne suffit pas… En effet, la bienveillance nous invite à tenir compte de l’enfant, de son ressenti, de son individualité pour l’aider à gérer ses émotions mais cette posture doit être assortie de fermeté pour ne pas faire des enfants des êtres dénués de sens collectif. La fermeté sur les règles à respecter, sur les limites structurantes permet à l’enfant de tenir compte de l’autre.

Il ne s’agit donc pas d’éviter à l’enfant toute émotion négative et de faire en sorte que l’enfant ne ressente que de la joie et du bonheur et lui éviter toute frustration. Il ne s’agit pas de faire des « enfants rois », qui tiennent difficilement compte des autres.  

L’idée de la bien bienveillance avec de la fermeté, c’est de comprendre le ressenti de l’enfant, de ne pas le contredire même si pour autant, on ne va pas réaliser son désir.  C’est aussi établir un dialogue avec l’enfant où son ressenti est pris en compte. Donc, on ne nie pas le ressenti sous prétexte que l’enfant connait la règle et qu’il n’a alors pas le droit de ressentir des choses (« mais pourquoi tu pleures ? Ça suffit, arrête de pleurer, on se calme ! C’est comme ça et puis c’est tout ! ») . 

C’est donc se montrer empathique avec les enfants pour qu’ils apprennent de nous.

Lire des histoires :

Il semblerait que lire des histoires et des romans soit en effet un excellent moyen de développer l’empathie : lire une histoire, c’est se mettre à la place de chaque personnage et vivre la situation de leur point de vue, en ressentant des émotions pour des situations qu’ils vivent eux ! 

Lorsqu’on raconte une histoire à un enfant, il peut donc imaginer les actions et les ressentis des personnages et les récentes études démontrent que le cerveau réagit alors comme s’il vivait lui-même ces évènements. 8)www.cerveauetpsycho.fr: les romans renforcent l’empathie, consulté le 8/04/16 et « Boite à outil pour promouvoir l’empathie », Ashoka, www.startempathy.org .

Les études démontrent donc que lire des histoires développe l’intelligence émotionnelle.

Jouer et coopérer

Selon Sophie Marinolopoulos 9)« Jouer pour grandir », Sophie Marinopoulos, Temps d’arrêt/ lectures, Yapaka.be   jouer à faire semblant c’est jouer à « être un autre que soi ». Par le jeu de rôles, l’enfant construit des structures narratives dans lesquelles il advient. C’est dans ces activités ludiques de faire semblant, en faisant comme si, que l’enfant peut ressentir en se mettant dans la peau d’un autre (…) Jouer c’est penser, jouer c’est se penser et penser l’autre.

Néanmoins, selon Serge Tisseron 10)Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010., la télé et les images peuvent altérer la capacité d’empathie en agissant sur la capacité de jeu des enfants. Non seulement la télé agit sur les plus jeunes en leur imposant une quantité importante de situations stressantes qu’ils vont tenter de résoudre en s’identifiant toujours au même personnage (celui qui est le plus proche) mais de plus, la télé détourne les enfants de la seule activité vraiment essentielle à leur âge, le jeu. D’où son idée de créer « le jeu des 3 figures », jeu proposé à l’école qui permet à l’enfant de jouer plusieurs rôles en fonction d’une même situation et ainsi développer son empathie. A la maison, limiter la télévision et avoir un dialogue avec les enfants au sujet des contenus, où les valeurs de l’entraide et la solidarité sont abordées, semblent être de bons moyens de parer à ces difficultés.

Quant aux jeux  coopératifs, il semble évident que ces jeux invitent à développer l’empathie en ce sens qu’ils favorisent les interactions sociales, la confiance, l’acceptation et valorisent l’entraide et la collaboration. 11)« Coopérer pour prévenir la violence », Delphine Druart et Michelle Waelput, Edts De Boeck, 2009 Ces jeux nécessitent de débriefer ensuite, d’aborder sur les ressentis de chacun, de réfléchir sur les différentes réactions qu’a suscité le jeu, sans jugement, ce qui demande un certain apprentissage.

Pour conclure

On le comprend bien, favoriser l’empathie est complexe car il s’agit de développer cette faculté au quotidien. Non seulement exprimer de l’empathie demande une estime de soi adaptée et une confiance dans le monde mais cela demande aussi de considérer l’autre, quel qu’il soit comme un interlocuteur avec qui j’accepte d’entrer dans un dialogue12)Lire Martin Buber,  philosophie du dialogue, Je et TU, Aubier Philosophie, 1938 (Réed.2012 , le dialogue n’étant pas une forme particulière de communication mais étant la construction d’un monde commun, le monde des êtres humains. Cette capacité à entrer en dialogue va être intimement liée avec les relations que nous avons nouées préalablement, avec les expériences que nous avons vécues et qui nous ont façonnées. 

Développer l’empathie est sans doute un défi de taille mais n’est-ce pas un défi à la hauteur de ses enjeux ?

References   [ + ]

1. Jean Decety est neuroscientifique spécialisé dans les neurosciences affectives et sociales, Travaillant au département de psychologie de l’université de Chicago, spécialiste de l’empathie
2. Dans « Neurosciences : les mécanismes de l’empathie »  Entretien avec Jean Decety, Sciences Humaines, N°150, Juin 2004.
3. Dans « Neurosciences : les mécanismes de l’empathie »  Entretien avec Jean Decety, Revue Sciences Humaines, N°150, Juin 2004.
4. Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010.
5, 6. Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010.
7. « La discipline positive » Jane Nelsen, 2012, Edts Toucan
8. www.cerveauetpsycho.fr: les romans renforcent l’empathie, consulté le 8/04/16 et « Boite à outil pour promouvoir l’empathie », Ashoka, www.startempathy.org .
9. « Jouer pour grandir », Sophie Marinopoulos, Temps d’arrêt/ lectures, Yapaka.be
10. Serge Tisseron, L’empathie au cœur du jeu social, Edt Albin Michel, 2010.
11. « Coopérer pour prévenir la violence », Delphine Druart et Michelle Waelput, Edts De Boeck, 2009
12. Lire Martin Buber,  philosophie du dialogue, Je et TU, Aubier Philosophie, 1938 (Réed.2012

Education : un chemin pavé de bonnes intentions…

L’EDUCATION….  Ce mot, tout le monde le connait, tout le monde l’emploie… Chacun a sa petite idée sur la question sans pour autant pouvoir y apporter une définition précise. Selon le regard qu’on y jette, ce mot permet les interprétations les plus folles.

A travers les âges sa définition n’a cessé d’évoluer sans jamais faire l’objet d’un consensus universellement acceptable. Ce chemin que tout le monde empreinte est souvent pavé des meilleures intentions mais, comme le proverbe l’affirme, l’enfer l’est aussi… 

Aujourd’hui, de profonds changements sociétaux chamboulent une nouvelle fois les croyances et les repères que nous avions sur le sujet. Est-il possible d’y voir plus clair ? Quelles sont les acteurs de premier plan qui interviennent dans l’éducation ? Quelles sont les paradigmes qui guident leurs interventions ? Tout cela est-il contradictoire ? Ou au contraire complémentaire ? 

L’évolution de la société : 

Le monde dans lequel nous vivons véhicule son lot de valeurs, de croyances et de repères qui participent à la cons truction de l’individu dès son plus jeune âge. Depuis quelques décennies nous voyons notre société changer de manière considérable et ce, par l’évolution des nouvelles technologies, des modèles familiaux, des modèles économiques,….  Cette mutation extraordinairement rapide n’épargne pas  la notion d’éducation. Cela génère doute, perplexité et contribue au creusement d’un fossé sans cesse plus grand entre des générations qui n’arrivent plus à se comprendre.

La société moderne : ses caractéristiques :

Le monde moderne, tel que défini par les sociologues, est né avec les philosophes des lumières. Il a vu triompher la rationalité, la raison, et a permis une grande production de savoir et de connaissance qui engendra également une période d’industrialisation massive (XIXème et XXème siècle). 

Voilà quelques caractéristiques qui nous permettraient de mieux comprendre l’impact de la société moderne sur notre vision du monde et de l’éducation :

  • La rationalité : dans le monde moderne, savoir et  raison se sont imposés face aux coutumes, aux traditions, aux croyances qui régissaient la société traditionnelle. 

Le savoir libère l’homme… 

  • Un schisme est apparu entre le monde de la raison (objectif) et le monde subjectif. La rationalisation s’est imposée dans tous les domaines : les sciences, l’économie, l’éducation,… Dans cette démarche rationnelle, il n’y a plus de place pour l’intuition, l’affectivité, les sentiments. L’être humain n’échappe évidemment pas à cette règle, la démarche scientifique sépare l’observateur, le sujet, de sa subjectivité, de ses sentiments,… tout est affaire d’observation, d’expérimentation, de neutralité.

C’est cette vision du monde qui amena un développement exponentiel dans de nombreux domaines scientifiques, technologiques, économiques, … Cela  permit la naissance de l’ère industrielle.

  • L’éclatement des savoirs, l’ère de la spécialisation : Comme mentionné plus haut, cette période a vu une accumulation inédite jusqu’alors des connaissances et des savoirs. Par ailleurs, cette évolution a été réalisée dans de nombreux domaines, de manière spécifique et séparée. Chaque domaine (les sciences, l’économie,…..) s’est développé comme une branche oubliée de son tronc. La grande accumulation des savoirs rend très compliquée la création de ponts, de lien entre les matières. 

Nous nous voyons entrer dans un monde éclaté, sans principe unificateur, c’est l’ère de la spécialisation. 

La société moderne a induit une vue parcellaire du monde, sans réelle vision globale…. Métaphoriquement, nous pourrions dire que cette vision du monde nous a permis de comprendre l’arbre dans toutes ses spécificités, ses caractéristiques mais sans avoir une vision globale de la forêt dont il est issu, sans prendre en compte ses interactions avec celle-ci et les autres éléments qui la composent.

Aujourd’hui, Les mutations de la société moderne : 

De nombreux sociologues sont d’accord : depuis les années 70, notre société est en train de muter, de changer. Nous entrons dans une nouvelle ère. Certain l’appelle la « postmodernité », d’autres « la nouvelle modernité » ou encore « le monde naissant ». Par ailleurs, chacun s’accorde sur le fait que ces changements ont un grand impact sur nos institutions mais aussi sur nos jeunes et nos familles qui naissent, grandissent et évoluent dans ce nouveau monde. 

En rapport aux caractéristiques de la modernité telles qu’évoquées plus haut, quel est l’impact de ces changements sur les différentes instances de l’éducation ? 

La famille : 

Dans l’ère moderne, la famille fonctionne comme une mini société où la solidarité, le sacrifice et l’entraide  sont de mise et restent des valeurs importantes. Le bien-être collectif de la famille passe avant le bien-être individuel. 

Les liens affectifs, les relations intrafamiliales ainsi que les rituels organisés dans l’intimité de la sphère familiale permettent aux enfants de grandir, d’évoluer et de devenir des adultes intégrés à la société. La famille permet également l’expression de leur personnalité et de leur singularité. 

Les membres de la famille ont un rôle relativement défini. Le père y assure la sécurité financière. Dans cette société patriarcale, il exerce une autorité descendante à laquelle les autres membres se soumettent. La femme occupe souvent un rôle éducatif auprès des enfants, elle leur offre une sécurité affective et gère la plupart du temps l’organisation du foyer familial.

Dans ce contexte sociétal, il y a peu de divorce, le mariage a une fonction sociale, qui va au-delà de l’amour entre l’homme et la femme. Le mariage permet un rapprochement entre deux familles et favorise parfois une élévation dans la société. 

La place de l’enfant est également différente. Le taux de mortalité étant plus important qu’aujourd’hui, il est plus difficile pour les parents de se projeter dans l’avenir avec lui. Il est souvent une force de travail non-négligeable et les familles nombreuses sont la norme (il n’existait pas de moyens de contraception), les enfants s’inscrivent dans une lignée familiale, l’éducation est basée sur l’obéissance et l’autorité.  

De profondes modifications sont à l’œuvre aujourd’hui,  la famille traditionnelle a explosé et de nouveaux modèles d’organisation familiale ont vu le jour : la famille recomposée, monoparentale, homoparentale. Cela peut en partie être expliqué par l’importance accrue accordée par notre société au bien-être individuel, à l’émancipation, à la réalisation personnelle. L’union entre deux personnes doit être le fruit d’un amour et doit être source émancipatrice. Si cela n’est pas ou plus rencontré, le choix de la séparation devient inévitable. 

L’enfant connait une place très différente aujourd’hui, il est le plus souvent l’expression d’un choix et d’un amour conjugal. Le taux de mortalité infantile étant très bas, les parents peuvent se projeter dans l’avenir avec celui-ci. L’enfant est un sujet à part entière qu’il faut protéger, chérir, aimer afin qu’il puisse se réaliser, développer sa personnalité et devenir « lui-même ». 

L’éducation exercée par la famille est dévolue à la poursuite de cet objectif et modifie fortement la relation parents-enfants. Les repères du monde moderne volent en éclat et amènent leur lot de doutes et de désillusions.  

L’autorité, tente à changer de forme. Les questions se bousculent : Quelle est la meilleure éducation ? Doit-on frustrer son enfant ? Quid des sanctions, des règles et des limites ?  Tant de questions qui engendrent parfois les plus folles interprétations et des effets indésirables (ex : l’enfant « roi », explosion du TDAH,…). 

L’école : 

Le monde scolaire n’échappe pas à cette évolution sociétale et se trouve aujourd’hui face à une crise identitaire qui génère bien des enjeux pour l’avenir.  

Si l’on peut considérer que la post-modernité est déjà bien entrée dans les familles, il n’en va pas de même pour l’école qui reste encore un lieu fonctionnant avec les caractéristiques du monde moderne. 

En effet, son rôle et sa fonction dans notre société ont été modelés durant l’époque des lumières. Elle devait permettre, au-delà de la transmission d’un savoir, d’intégrer les enfants dans la société et ce, de manière plutôt indifférenciée. Par ailleurs, une des finalités était d’endiguer les inégalités sociales en utilisant un modèle pédagogique similaire pour tous, quel que soit la classe sociale d’où on provient. 

Dans ce modèle, tout particularisme est proscrit, l’enfant doit apprendre à se fondre dans la société.  On y apprend un savoir morcelé. Il n’y a pas, ou très peu, de lien entre les matières apprises. L’école actuelle est encore fortement focalisée sur une dimension instrumentale de la formation, sur les matières de l’enseignement, la technologie de l’apprentissage et l’évaluation (Pourtois, Desmet, 1997). 

Poutois, Desmet, 1997

L’école s’intéresse peu au monde dans lequel l’enfant et la famille sont insérés. Les dimensions psychopédagogiques, culturelles, économiques,… sont peu prises en compte.  

Aujourd’hui, cette société en mutation laisse les enseignants démunis et remplis de questions face à ces bouleversements sociétaux et l’impact que cela a sur la jeunesse. Il n’est pas rare d’entendre les professeurs se plaindre du manque d’éducation de leurs élèves, estimant qu’on leur demande plus que ce que leur fonction demande : éduquer, ce n’est pas mon rôle, les parents sont désinvestis,… Une perte de confiance est à déplorée entre  la Famille et l’institution scolaire. Chacun se replie dans ses croyances et fonctionne dans des mondes régis par règles différentes. L’incompréhension risque de s’amplifier  si aucun pont n’est créé entre la famille et l’école.

Les convictions d’hier sont ébranlées : Quelle est le rôle de l’école dans l’éducation d’un enfant ? L’école doit-elle changer ? Comment ?

Les enjeux de l’éducation :

A la lumière de tous ces éléments, nous pouvons voir plus clairement les nombreux défis que devra relever notre monde futur.  Un nouveau modèle sociétal est en train de s’imposer et avec lui, de nombreux repères sont ébranlés. Cette nouvelle société est-elle meilleure ? Ou au contraire, sonne-t-elle le glas d’une civilisation décadente ? 

Peut-être est-il important de ne pas penser les choses de manière manichéenne. Les sociétés évoluent, changent…. Comprendre ces mutations et leur complexité est une étape importante qui permet l’adaptation, le changement.  

Comment aider les différentes générations à pouvoir s’entendre, se comprendre ?  Comment redéfinir la notion d’éducation ?

Un risque de rigidification des pensées et des postures est à craindre. Plus encore aujourd’hui, dans le contexte d’insécurité dans lequel nous vivons (explosion du chômage, crise financière, menaces terroristes,..). Le danger est que ces phénomènes peuvent engendrer un repli sur soi,  une augmentation des pensées extrémistes, un enfermement dans « sa vérité » sans réellement appréhender la grande complexité de tout cela. 

L’école ne doit-elle pas jouer un rôle de premier plan auprès de nos enfants afin de les aider à mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent ? Son fonctionnement même ne doit-il pas changer ? De nombreux auteurs posent également la question.

Le mode de transmission du savoir, les filières de relégation, la primauté des sciences dites « exactes », la prise en compte de l’enfant dans sa dimension psychologique, sociale et culturelle, devrait faire l’objet d’une réflexion afin de replacer plus adéquatement l’école dans le champ de l’éducation et aider   les générations futures à relever les défis qui les attendent.

BiBLIOGRAPHIE :

  • POURTOIS Jean-Pierre et DESMET Huguette, L’éducation postmoderne (1997), paris, PUF. 
  • GAILLARD Jean-Paul, Enfants et adolescents en mutation (2009), fr, ESF. 
  • BLAIS Marie-Claude, l’éducation est-elle possible dans le concours de la famille ? (2008), Yapaka, collect. Temps d’arrêt. 
  • POURTOIS Jean-Pierre et DESMET Huguette, L’éducation implicite (2004), Paris, PUF.
  • RIZZO John, Sauvez l’école ?(2015), Hévillers, KER éditions
  • NELSEN Jane, La discipline positive (1981), Paris, éditions du Toucan.

Entretien avec Pascal Minotte

« L’enjeu est dans le bon usage d’Internet, pas dans l’interdit »

Le jeudi 1er octobre 2015 lors de la présentation du jeu « Why net ? » le conférencier du jour, P. Minotte psychologue et directeur du Centre de Référence en Santé Mentale, nous a accordé une interview.

Pour résoudre des problèmes d’éducation, on dit souvent qu’il faut dialoguer. Comment des parents non utilisateurs d’Internet peuvent-ils entamer un dialogue avec leurs enfants sur un sujet qu’ils ne connaissent pas, ne maîtrisent pas ?

Le plus simple pour un parent, c’est de commencer en demandant à son enfant, à son ado comment cela fonctionne. Cela peut déjà constituer la base d’un dialogue. Évidemment, on est là dans un positionnement un peu inversé. En effet, ce sont les parents qui expliquent en général comment les choses fonctionnent. Cela peut être intéressant, valorisant de mettre son enfant ou son ado dans la position de celui qui explique comment cela marche. Ensuite, je dirais que les valeurs à transmettre à son enfant sont transversales à l’éducation que ce soit Internet ou autre chose. Le parent est un référent en matière de valeurs à transmettre. Donc, ce n’est pas parce qu’on parle d’Internet que les valeurs sont dépassées. Un parent peut être dépassé par une technologie mais à priori, il peut mobiliser ses valeurs pour les transmettre à son enfant.

Régulièrement, dans la presse, il est fait état d’événements inquiétants à cause de l’utilisation des réseaux sociaux. Exemple : des jeunes pris à partie par leurs condisciples scolaires, des jeunes filles se dévêtissant pour leur petit ami qui ensuite dissémine leurs portraits… Donc peur, méfiance… et de l’autre les médias suscitent maintenant les auditeurs ou les spectateurs à intervenir en utilisant ces mêmes réseaux sociaux comme par exemple « The Voice » pour les votes à la RTBF, de même « On refait le monde » sur Bel RTL etc. Donc, ici, on valorise le côté attrayant, branché. N’est-ce pas un paradoxe ?

Effectivement, je pense qu’il y a une grande ambivalence sociétale concernant toutes les nouveautés technologiques. De façon générale, c’est quelque chose que l’on observe dans l’histoire de l’humanité. A la fois, ça fascine et cela inspire des craintes. Mais en moyenne, on est plutôt enthousiaste puisque visiblement on achète ces technologies.  Vous évoquez aussi les médias traditionnels qui ont également une relation très particulière, ambivalente par rapport à ce nouveau média qu’est Internet. C’est un concurrent qui vient quelque part un peu les remplacer dans les usages… en tout cas, chez certains jeunes, chez certains publics qui finalement finissent par ne plus passer que par Internet. D’un côté, ces médias ne sont pas avares pour évoquer tous les problèmes liés à celui-ci et en même temps, ils vont l’utiliser pour essayer d’être un peu plus interactif et correspondre aux exigences actuelles. La télévision en est un bon exemple car elle n’est pas interactive et n’a pas été prévue pour cela. Elle est le contraire de la mode actuelle. Effectivement, il y a une ambivalence.

Des personnes pensent que les jeux vidéo suscitent la violence chez les pratiquants voire des scénarii d’actes malveillants. Vrai ou faux ?

Alors oui, cela est une vaste question. Je pense qu’il ne faut pas partir sur cette idée en tenant compte de l’ensemble de la population, des jeunes. Tous les jeunes, à l’heure actuelle, jouent ou ont joué à des jeux vidéo qui ont des contenus violents et pour autant, tous ces jeunes ne sont pas devenus violents ou sociopathes… ou que sais-je. Au contraire, on est très loin de là. Donc, le lien entre jeu vidéo violent et violence réelle ou passage à l’acte dans la réalité n’est pas un lien direct et irréfutable. Par contre, on peut observer  qu’à force de pratiquer des jeux violents et voir des films ou séries violentes, n’a pas un effet positifs sur les personnes fragiles. On est dans quelque chose qui alimente un imaginaire autour de la violence et éventuellement l’idée que la violence est une réponse acceptable. Mais, pour la population lambda,  où l’on transmet un certain nombre de valeurs à un enfant qui vit dans un contexte où les références sont claires par rapport à la violence et qui n’a subi aucun traumatisme, à priori, les jeux violents  ne font pas de lui un adulte violent.

Y a-t-il de l’addiction aux jeux vidéo, aux réseaux sociaux ?

De mon point de vue personnel, il y a des usages excessifs. Parler d’addiction n’est pas l’expression que je vais utiliser mais je reprendrai plutôt l’idée de compulsion, d’usage compulsif. J’aime les expressions sobres qui ne pathologisent  pas trop.  Je dirai donc que dans les services thérapeutiques, on voit surtout des usages excessifs de jeux vidéo. Pour ce qui est des réseaux sociaux, on connaît tous des personnes qui ont un usage qui nous questionnent en se disant « tiens est-ce que ce n’est pas beaucoup ? » mais vraiment un usage qui correspondrait à quelque chose de pathologique, on est plutôt autour des jeux vidéo. Alors cet usage excessif est le plus souvent le symptôme d’un mal-être et qui peut être de plusieurs types. Donc, plutôt que de parler d’addiction, moi, je dirais que l’on a des usages excessifs qui sont le symptôme d’une problématique qui est en lien avec l’adolescence, avec le fait de devenir adulte, des problèmes familiaux etc.

Dans le traitement de personnes accro des jeux vidéo ou réseaux sociaux, avez-vous un ou plusieurs conseils, recommandations à donner ?

Le conseil que je pourrais donner est : qu’est ce qui va caractériser ses usages excessifs et problématiques. Ce sont des symptômes derrière lesquels il y a une souffrance. Généralement, ce n’est pas : « je n’arrête pas de jouer aux jeux vidéo juste parce que  je ne peux pas m’en empêcher. C’est plus compliqué que cela. Souvent, jouer de façon excessive permet de fuir une réalité difficile à vivre. Exemple classique, l’adolescent qui vit dans un milieu familial où les parents ne s’entendent pas du tout. Cela devient son échappatoire. Je pense qu’au départ, l’intérêt n’est pas de se focaliser sur la pratique du jeu vidéo et vouloir y mettre fin car cela risque d’amener la rupture avec le jeune. Il comprendra très vite que l’on veut juste qu’il arrête de jouer à ces jeux. Il ne sera pas d’accord avec cela. Mais, c’est vraiment plutôt se questionner et aller questionner la souffrance qui est là derrière en se demandant : « de quoi cette pratique excessive de jeu est le symptôme ? » et ainsi avoir une intervention de ce côté-là. Donc, aller au-delà du symptôme pourra réguler d’autant plus facilement cette pratique. 

Des professeurs nous disent : « on ne peut rien faire car c’est en dehors de l’école que cela se passe ». L’école a-t-elle un rôle à jouer ou pas dans cette problématique ?

Oui, l’école a une place à donner notamment à ce que l’on appelle l’éducation aux médias. L’éducation aux médias, c’est apprendre aux élèves à devenir des utilisateurs avertis. Cela concerne évidemment Internet mais aussi la télévision…et tous les médias. Ce n’est pas un cours sur la transmission des valeurs en disant que c’est mieux de regarder le « JT » que « Secret Story » mais plutôt donner des outils aux jeunes pour analyser comment ces programment sont construits. Cela a toute sa place à l’école. Ensuite, la question des valeurs et  de la moralité peut éventuellement être réfléchie à l’école, mais cela doit plutôt être abordé par les parents. L’éducation aux médias n’a pas assez de place à l’école.

Ce que l’on retrouve le plus à l’école, c’est l’initiative d’intégration des TIC dans les cours ; ce qui donne une plus-value à l’enseignement. Cela permet à la fois de se familiariser avec la technologie et donne un plus à l’apprentissage de la matière. Ce sont des initiatives fortement intéressantes et il est important que cela se fasse. Mais, c’est aussi important en terme de justice sociale : dans certaines familles, certains parents maîtrisent bien tout cet aspect de la vie mais par contre, pour d’autres, ce n’est pas du tout le cas. Des enfants sont livrés eux-mêmes car les parents n’ont pas les compétences. Cela se traduit par un retard conséquent fort préjudiciable pour la vie future. A l’heure actuelle, la maîtrise des outils informatiques est un atout permettant d’accéder à un emploi… oui, c’est un rôle important que l’école doit jouer.

Aux États-Unis, on constate une augmentation importante des indépendants, qui sont en fait des travailleurs utilisant des applications sur Smartphones pour développer leur travail et entrer en contact avec des clients potentiels. C’est un peu le même principe qu’Uber. Si Internet s’immisce déjà comme cela dans les relations du monde du travail, au lieu d’avoir peur, ne faudrait-il pas, au contraire, encourager son utilisation chez les jeunes ?

L’enjeu principal autour d’Internet et des nouvelles technologies n’est pas tant de prévenir les usages problématiques que d’enseigner des bons usages. Ceux-ci sont essentiels pour l’emploi, pour construire l’emploi et pouvoir s’adapter aux emplois futurs qui seront proposés. Le mouvement est déjà actuellement en marche. Il faut dès maintenant arriver à avoir sur Internet une identité numérique correcte, une présentation correcte, maîtriser toutes les informations que l’on va laisser sur soi. L’idée à transmettre auprès des jeunes n’est pas qu’il faut à tout prix se cacher, ne pas se montrer mais plutôt les amener à réfléchir sur: c’est quoi les bonnes informations à donner qui pourront me servir, comme par exemple, pour trouver un travail ? L’enjeu, il est plus dans la construction de compétences de bons usages des nouvelles technologies et pas dans l’interdit. 

Propos recueillis par Benoît Moury

Faire des erreurs !!

un moyen efficace pour grandir

Dans une société orientée vers le résultat, l’erreur a du mal à trouver une place, encore moins une place valorisée. La société nous apprend à voir l’erreur comme un échec dont il est courant d’avoir honte.

Si les intentions éducatives des adultes sont le plus souvent  positives, avec l’envie de motiver les enfants à s’améliorer, les moyens ne sont pas toujours réfléchis et sont souvent basés sur la dynamique de peur. Le « sois fort, sois parfait »  est encore omniprésent dans l’éducation. Intégrer l’erreur dans le processus d’apprentissage demande à l’adulte « le courage d’être imparfait ».

Comment y parvenir ?

L’outil des 3 « R » de la réparation tiré de la discipline positive est un excellent moyen de transmettre ce courage d’être imparfait et partant, de faire germer l’opportunité d’apprentissage.

Tout d’abord, il est important de Reconnaître sa part de responsabilité dans une erreur. Si nous considérons les erreurs comme la marque de nos faiblesses, nous aurons tendance à nous sentir inadéquats et découragés ; ce qui peut nous rendre défensifs, moralisateurs et critiques  vis-à-vis de nous-mêmes et des autres. Les intégrer dans le processus d’apprentissage nous donne le courage de les reconnaître et les assumer (« Oups ! J’ai fait une erreur »).

Le deuxième « R »  consiste à Réconcilier « Je suis désolé d’avoir… ».

Ces deux premiers « R » de la réparation permettent de créer une connexion préalable à la 3ème étape du processus : Résoudre.

Il est inutile d’essayer de trouver des solutions sans avoir d’abord créé la connexion et sans avoir retrouvé au préalable son calme.

Dès lors que les adultes reconnaissent leur part de responsabilité dans le déclenchement d’un conflit, les enfants sont enclins à suivre leur exemple et à en assumer leur propre part. Les enfants apprennent leur responsabilité quand les adultes sont, avec eux, des modèles de cette compétence.

Voici un exemple qui illustre cet outil : un jour, une mère surprend son fils Jordan, âgé de 8 ans en train de donner un coup de pied à son petit frère de 6 ans. Très fâchée contre Jordan et soucieuse de lui enseigner qu’on ne doit pas frapper, elle prend Jordan à part pour le gronder : « tu crois que tu aimerais, toi, qu’on te frappe comme ça ? ». Et pour mieux lui faire comprendre, elle lui donne un coup de pied qui le frappa plus fort qu’elle n’en avait réellement l’intention. Quel parent n’a jamais craqué ? Qui n’a jamais réagi par des moyens dictés par la colère, au lieu de recourir à des outils qui auraient été plus bénéfiques sur le long terme ?

Peu après, cette mère reconnut son erreur,…elle prit Jordan à part pour s’excuser : « Jordan, je suis vraiment désolée de t’avoir donné un coup de pied ; j’étais tellement furieuse que tu aies frappé ton frère…mais en fait, je t’ai fait exactement ce qui m’avait rendue furieuse contre toi. Tu dois trouver que ce n’est vraiment pas malin ». Jordan la regarda un peu en biais.

 Elle continua : « En plus, ce n’était vraiment pas gentil de ma part ». Jordan dodelina un peu de la tête. « Est-ce que tu te sens mieux maintenant que je me suis excusée ? ». Jordan approuva. « Et ton petit frère, comment crois-tu qu’il se sentirait si tu allais lui présenter des excuses ? ». Jordan marmonna « Ben mieux ». La mère reprit : « Qu’est-ce que tu dirais d’aller lui présenter des excuses et ensuite, on se retrouve tous les trois pour chercher comment résoudre le problème que tu avais avec ton petit frère ? ».

Le lendemain, les deux frères se réunirent. Chacun donna sa version de ce qui s’était passé, comment cela avait commencé, ce que chacun ressentait ou avait appris et comment chacun proposait de résoudre le problème. Les deux frères étaient ravis de la solution qu’ils avaient pu finalement trouver pour essayer de ne plus se battre.

Grâce à cet incident, cette mère a pu être un exemple pour ses deux enfants et elle a pu leur enseigner plusieurs compétences utiles : celle de reconnaître ses responsabilités, de savoir s’excuser, d’aider ses enfants à en faire autant, d’apprendre à s’écouter et de trouver des solutions ensemble.

Si nous nous souvenons du temps où nos enfants apprenaient à marcher. Le plus souvent, lorsqu’ils leur arrivaient de tomber, ils se relevaient, parfois après quelques larmes, avant de reprendre leur route sans honte car déjà tournés vers l’étape suivante. Les chutes faisaient partie intégrante de leur apprentissage. Et nous, parents, nous les encouragions à recommencer !

Aider nos enfants à conserver cette simplicité dans les apprentissages au fur et à mesure qu’ils grandissent ne peut se faire qu’en redonnant sa juste place à l’erreur. Les conflits, les incidents et tous les défis que l’on rencontre sur le chemin éducatif sont aussi, à l’image des erreurs, des opportunités d’apprentissage et peuvent être regardés de la même façon. Croire qu’il faut être parfait dans notre rôle de parent nous écarte de la possibilité d’apprendre, de progresser et d’en tirer de la joie. Alors un bon conseil : continuez à faire des erreurs ! 

Bibliographie

Jane Nelsen, « La discipline positive. En famille et à l’école, comment éduquer avec fermeté et bienveillance », Ed. du Toucan, Paris, 2012.

Les jeunes et la radicalisation

« J’ai fermé la porte, il est passé par la fenêtre ! »

Aujourd’hui, en Belgique, on compte plus de 500 départs vers la Syrie et l’Irak. Face à ce phénomène se retrouvent généralement des parents déstabilisés, perdus, laissés en toute incompréhension. Que faire face au chagrin et la déstabilisation ? L’ASBL « Les parents concernés » leur offre une écoute, un lieu de discussion et de partage…

Au commencement : le mythe de l’institution

Intéressons-nous d’abord à l’histoire des « Parents concernés », ce qui fonde le mythe de l’ASBL. 

« En 2012, il est parti… ». C’est avec beaucoup d’émotion que Véronique, co-fondatrice de l’ASBL, nous explique les circonstances l’ayant menée à la création de cette ASBL.

« Mon fils est parti en Syrie avec son ami Sean, qui habitait en face de chez nous… En 2013, il a téléphoné à la maman de Sean pour lui dire que son fils était mort au combat et qu’il avait reçu des balles dans le dos. Nous étions effondrés et nous sommes dits que cela marquait le début de quelque chose… »

C’est en 2013 que Véronique et le papa de Sean, Olivier, mettront en place les premiers fondements des « Parents concernés ». Cette ASBL se constituera, tout d’abord, en un groupe de parole au sein duquel se rencontraient des parents ayant vécu des situations similaires. Géraldine, membre à part entière de l’ASBL, nous confie que : « Le groupe de parole fait office de psychologue. Lorsque cela vous arrive, vous êtes tout seul, vous ne savez pas ce que vous devez faire. Lorsque l’on s’adresse à des psychologues professionnels, ils nous disent qu’ils ne connaissent pas le sujet, qu’ils ne savent pas nous aider. On construit notre expérience sur le vécu de chacun… »

Un soutien, une écoute, voilà ce qui était tout d’abord proposé aux différents membres. Suite au départ de son enfant, on peut très vite se retrouver dépassé par les éléments, perdu, submergé par ses émotions. Il est  dès lors essentiel (voire salvateur) d’avoir un point d’ancrage, un lieu au sein duquel nous pouvons déverser notre souffrance, nos inquiétudes… Le groupe de parole offre cela. Car il est vrai, qui dit groupe dit personne ayant des caractéristiques communes, ayant vécu des situations semblables. Exprimer sa souffrance, ses angoisses, ses émotions face à des personnes ayant connu des événements similaires aux nôtres permet de diminuer chez nous le sentiment de honte, de culpabilité. C’est ensemble que les participants parviennent à mobiliser les ressources nécessaires pour faire faire aux difficultés de la réalité.

« En avril 2013, nous avons donc tout d’abord cherché un local. Nous en avons trouvé un dans le centre-ville. Les groupes de paroles se déroulaient une, deux, voire trois fois par mois, suivant les occasions et les événements. Depuis 2013 à aujourd’hui, nous avons connu pas mal de décès de jeunes de parents faisant partie de l’association. Il y avait donc toujours bien une raison pour se rencontrer, se soutenir… C’était cela le but du groupe de parole… »

Le politique au service de la reconnaissance…

Suite à ce premier groupe de parole mis en place s’ensuivirent des actions politiques menées par l’ASBL avec pour objectif de se faire connaître et de rendre compte de la souffrance des parents, de leur mécontentement envers l’Etat.

Obtenir davantage de reconnaissance, de visibilité, telle était la volonté motivant ces actions politiques…

« Nous avions organisé une manifestation dans le but de nous faire connaître et de crier à l’Etat notre peine, notre tristesse… Pour la manifestation, nous avions fait des banderoles. Cela se faisait tous les samedis, avant les élections communales de 2014, dans le but de se faire connaître des autorités communales… Cela durait environ une heure, durant laquelle nous distribuions des tracts aux passants. La volonté était également de montrer à l’opinion publique ce qui se fait au sein de notre ASBL. », nous raconte Véronique.

On peut voir qu’au-delà de la dimension humaine, il y a une dimension politique indispensable pour se faire connaître du grand public. Il y a une volonté de rendre compte aux autorités, de revendiquer et de faire bouger des choses.

« Certains travailleurs de section contre la radicalisation sont venus chercher notre expérience. ». Depuis sa création, il y a trois ans, l’ASBL n’a cessé de croître. Travaillant aujourd’hui avec 49 familles, dont 20 familles présentes durant chaque rencontre proposée par l’ASBL ! Les types de familles avec lesquelles l’ASBL travaille sont de plus en plus variés. Géraldine et Véronique se considèrent comme des témoins, chez qui on pourra aller chercher l’expérience vécue, plutôt que comme des expertes.

Au vu du nombre élevé de familles avec lesquelles travaille l’ASBL, il est légitime de s’interroger sur le choix ou non de se concentrer sur un certain type de famille, de se limiter à un périmètre bien précis… Mais il semblerait que l’ASBL travaille avec toutes les familles demandeuses, peu importe d’où elles viennent.

La prévention comme moteur d’expansion 

La prévention occupe aujourd’hui une place importante, voire prépondérante au sein de l’ASBL. La sphère préventive a permis aux « Parents concernés » de prendre de l’ampleur. En effet, l’ASBL a vu son public s’élargir, travaillant notamment avec les jeunes susceptibles de partir, ainsi qu’avec ceux rentrés, peu importe leur situation (emprisonnement, IPPJ, etc.). 

« Nous travaillons avec deux types de jeunes : ceux qui ont été en prison et ceux qui n’ont pas été mis en prison. Cependant, nous ne travaillons pas avec beaucoup de jeunes mis en prison car la Justice fait un huis clos. Même les jeunes jugés sont interdits de parler en public, à la presse dans leur jugement… ».

Au-delà du travail avec les jeunes et les familles, le travail avec les autorités publiques voit le jour. En effet, un partenariat entre l’ASBL et des services de police fut mis en place. Géraldine nous confie que cela n’a pas toujours été le cas. Par ce travail, nous pouvons constater une mouvance par rapport à la position qu’occupent les autorités face à cette problématique. On peut voir que la position des autorités face aux départs en Syrie et en Irak a changé. On veut en apprendre davantage, la menace est davantage prise au sérieux. On s’intéresse à la compréhension des faits, des mécanismes internes autant qu’à la répression. Il n’est plus question de simplement punir, on cherche désormais à comprendre afin d’anticiper. 

Au-delà de la volonté de compréhension et d’anticipation des départs, cette ASBL travaille avec la police sur une manière différente d’aborder les familles. En effet, il arrive régulièrement que des familles de jeunes partis faire le djihad se sentent jugées, stigmatisées. Par l’attitude de certains policiers, elles ont parfois l’impression d’être jugées autant coupables que leurs enfants. Il s’agira d’envisager, ensemble, une manière différente d’aborder les familles, de manière à éviter la stigmatisation.

« Le but de l’ASBL est d’ouvrir le dialogue entre les parents et la police, qu’on arrête de stigmatiser les parents, car nous ne sommes pas responsable du départ de nos enfants. De plus, ce n’est pas nous qui sommes partis. On considère parfois presque comme si c’était nous qui étions partis en Syrie. On traite parfois les parents comme si ils étaient aussi coupables que leurs enfants. C’est pareil pour les frères et sœurs… Nous essayons donc d’ouvrir le dialogue avec la police afin d’éviter les amalgames. Nous avons également réalisé des capsules vidéo afin de montrer aux policiers quels étaient les manquements dans le comportement de la police, ainsi que les changements à apporter. La police est assez réceptive  (plus qu’avant) car elle s’est rendue compte qu’elle était passée à côté de nombreux départs de mineurs. », nous expliquent Géraldine et Véronique.

Ces interventions témoignent également de l’évolution de l’ASBL. Cette dernière est de plus en plus prise au sérieux et le travail réalisé de plus en plus reconnu. Cependant, pour les deux mères, il est hors de question de parler de notoriété, mais plutôt d’une certaine reconnaissance…

Conclusion 

Géraldine et Véronique présentent des personnalités différentes, mais qui se complètent. En effet, Véronique se trouve davantage dans la revendication politique, dans la volonté que les choses bougent, tandis que Géraldine se situe davantage dans les rapports humains, dans le soutien et le partage

A l’image de Véronique et Géraldine, « Les parents concernés » représente un mélange homogène de personnalités hétérogènes, mariant à la fois revendications politique et chaleur humaine.

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