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Jeunes

Décrochage scolaire et capital social

Dans le cadre d’une conférence donnée à l’initiative du CAAJ, Monsieur Philippe DEFEYT – président du CPAS de Namur – est convié à aborder le thème suivant : « L’insertion professionnelle et/ou insertion sociale ». L’objectif étant de resituer les valeurs d’une insertion SOCIO – professionnelle dans une dynamique plus large d’épanouissement du jeune dans notre société.

Comme vous le découvrirez dans l’extrait repris ci-joint, monsieur DEFEYT fait référence à la notion de « capital social », notion indispensable dans la réalisation, la concrétisation de tout objectif donné. Par le biais d’un exemple concret, le président du CPAS de Namur met parfaitement en exergue l’importance d’acquérir un capital social suffisamment développé pour tendre à un certain bien-être. En effet, il apparait de manière évidente que la notion de capital social est aussi importante que la somme des compétences et connaissances acquise lors de nos formations.

Cet extrait nous a paru pertinent car nous pouvons d’emblée faire le lien avec une problématique récurrente au sein de notre A.M.O., celle du décrochage scolaire.

En effet, Monsieur Defeyt évoque la notion de capital social dans un contexte d’insertion socio-professionnelle. Par conséquent, il s’adresse davantage à un public de jeunes adultes.

Notre expérience professionnelle nous fait penser que le capital social se créé dès notre plus jeune âge et nous le définissons comme suit :

L’ensemble des interactions entretenues par le jeune avec son milieu, sa capacité à créer des relations avec autrui, à communiquer et dès lors à entrer dans un processus d’acceptation de soi, des autres, et donc de confiance en soi et aux autres.

Si le jeune bénéficie d’un capital social suffisamment développé, il sera alors à même de tisser des relations durables.

Cependant, pour développer ce capital social, le jeune a besoin d’être apprécié, encouragé et d’obtenir la confiance de son entourage ; ce qui lui permettra notamment de se forger une bonne estime de soi.

Aussi, selon Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, auteurs du livre « L’éducation postmoderne » (aux éditions Education et formation Puf), l’estime de soi influence notre manière d’apprendre, notre capacité d’adaptation aux situations rencontrées et les relations créées avec autrui.

A échéance, une faible estime de soi risque d’altérer nos relations, d’entrainer une certaine agressivité, une vulnérabilité, voire un état dépressif.

Monsieur Pourtois et Madame Desmet évoquent également le lien entre l’échec scolaire et la perte d’estime de soi. Ils font référence à une sorte de spirale dans laquelle le jeune se cloisonne lorsqu’il est en proie à l’échec.

Les auteurs la décrivent comme suit :

« Echec scolaire -> sentiment de dévalorisation -> perte de confiance en soi -> nouveaux échecs -> jugements négatifs du maître -> attentes négatives de ce dernier -> renforcement de l’échec -> amplification de la dévalorisation de soi et ainsi de suite. »

Cette spirale nous démontre à quel point l’échec scolaire peut être tributaire de l’estime qu’un jeune peut avoir de lui-même et des relations entretenues avec ses professeurs.

Mais l’estime de soi est également liée à l’intégration du jeune dans sa classe, à ses rapports aux autres, à l’aide qu’il pourra recevoir ou non de ses camarades de classe, aux valeurs véhiculées par l’institution, etc.

Si l’estime de soi influence le capital social ainsi que notre manière d’apprendre, il nous semble logique que le capital social soit lié à l’accrochage scolaire.

Ces réflexions nous amènent à nous poser plusieurs questions :

Dans un premier temps, qu’en est-il de la participation de l’école au développement du capital social du jeune ?

D’un point de vue légal, « l’article 6 §1°, 3 ° et 4 ° du décret mission pour l’enseignement en Communauté française prévoit notamment les objectifs généraux suivants :

  • 1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves ; …
  • 3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ;
  • 4° assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.»

En conclusion

En conclusion, l’école joue effectivement un rôle prépondérant dans le développement du capital social des étudiants.

Une autre question reste ouverte : Sachant que l’école contribue au développement du capital social et partant de l’hypothèse d’un lien entre ce dernier et l’accrochage scolaire, quelles sont nos perspectives de travail ?

Dans la lutte contre le décrochage scolaire, Transit travaille à la restauration du capital social en partenariat avec le milieu scolaire et les autres services A.M.O. et ce, par le biais des projets suivants :

Nous pouvons notamment citer « Le Passage » dont l’objectif est de prévenir l’absentéisme et le décrochage scolaire en facilitant l’accès à l’école secondaire, en évitant une trop grande perte des repères, en travaillant sur les représentations des élèves et l’image de l’école. Lors de ce projet, nous nous sommes aperçus de l’importance pour le jeune d’être attaché à son école, d’être accepté par les autres, de créer des liens avec ses camarades de classe, d’être considéré. Ceci favorisera un meilleur accrochage scolaire et une plus grande ouverture aux apprentissages.

Autre projet, intitulé « Vide ton sac », abordant le thème de la violence à l’école et le phénomène du bouc émissaire. Ce projet a pour objectif de travailler l’acceptation, de pointer les ressources personnelles, scolaires, familiales et sociales du jeune afin qu’il puisse acquérir suffisamment de confiance en lui, au groupe pour faire face aux difficultés rencontrées.

Ces deux projets ont fait l’objet d’animations scolaires principalement dans les classes de 5ème, 6ème primaire et de 1ère secondaire.

Enfin, nous réalisons, entre autre, des animations scolaires au sein d’une classe où il a été constaté, au cours des années précédentes, un taux de décrochage scolaire élevé. Les jeunes sont acteurs d’un projet. Nous utilisons la vidéo comme outil de travail. Ils apprennent à se connaître, à éprouver des plaisirs ensemble, à s’investir dans le projet qui leur est confié. Cela permettant de susciter une certaine motivation, une valorisation de leur personne et, finalement, leur accrochage scolaire.

Cette animation nous a permis d’apprendre à connaître les autres (exclus du groupe), de les voir différemment, de créer un esprit de groupe.

Paroles de jeunes

Par Sonia Renero du personnel psycho-social de l’AMO Transit et Vanessa Van Duyse. 

Décrochage – accrochage scolaire

des mots aux actes

Le décrochage scolaire représente le fait qu’un jeune se retrouve complètement hors d’un établissement. Cette problématique est régulièrement rencontrée dans le cadre du travail en milieu ouvert. Cette dernière peut recouvrir diverses sources, elle est multifactorielle. Lorsque l’on envisage l’accrochage scolaire, il faut imaginer tous les aspects, tous les liens, ainsi que les différents environnements ayant un lien direct sur la relation qu’entretient le jeune avec sa scolarité. Le décrochage scolaire est un fait, une situation dans laquelle le jeune s’est installé. Lorsque l’on parle uniquement en termes de décrochage scolaire, on énonce un fait, sans pour autant imaginer une manière de favoriser la réinsertion scolaire du jeune.

Les termes d’accrochage scolaire

L’accrochage scolaire est une notion très complexe et difficile à définir. En effet, il n’existe que très peu de littérature traitant de cette question. Cependant, après avoir consulté quelques ouvrages, l’accrochage scolaire pourrait être défini de la manière suivante 

L’accrochage scolaire représente l’ensemble des actions mises en place dans le but de favoriser l’intégration du jeune au sein de son établissement scolaire. L’objectif poursuivi est d’éviter la fuite du jeune de son établissement scolaire. Pour y parvenir, on cherchera à mettre en place des mesures pour qu’il s’y sente bien, qu’il s’y épanouisse.

Travailler l’accrochage scolaire, c’est avant tout envisager la question de la prévention. Cette prévention peut à la fois se retrouver au sein du travail communautaire, mais aussi dans le travail individuel réalisé avec les jeunes et les familles. En effet, comme dit plus haut, la problématique du décrochage scolaire est à envisager comme dépendante de divers facteurs en interaction les uns avec les autres. Elle peut à la fois dépendre de l’environnement scolaire, de la situation familiale, ainsi que de toutes sortes d’autres problématiques auxquelles le jeune peut un jour être confronté dans sa vie. En travail communautaire, l’accrochage scolaire peut notamment se décliner en une série de projets menés au sein des établissements scolaires. Ce travail communautaire auprès des établissements scolaires est réalisé par la plupart des AMO.

Par les mesures préventives dans le but de favoriser l’accrochage scolaire, on entend davantage l’idée de répondre aux problématiques pouvant amener le jeune à se retrouver en situation de décrochage scolaire. Il s’agira, dès lors, de travailler à la fois sur le fonctionnement des jeunes seuls, entre eux, mais aussi sur le fonctionnement institutionnel. Les thématiques du harcèlement, du bouc-émissaire, de l’utilisation des nouvelles technologies… seront notamment abordées et travaillées avec les jeunes. L’objectif est également de susciter des attitudes de coopération et d’empathie chez les enfants. Travailler l’accrochage scolaire et le fonctionnement institutionnel au sein des écoles, c’est également être amené à travailler avec divers partenaires. Dans la pratique, nous pouvons constater que cela n’est pas chose aisée. Il faudra, dès lors, chercher à rencontrer l’autre dans l’objectif que l’on a en commun. Cette problématique peut notamment se rencontrer avec certains professeurs lorsque ces derniers auront l’impression de sortir de leur rôle d’enseignant en faisant de la prévention. Par exemple, beaucoup d’enseignants éprouvent des difficultés à percevoir l’intérêt de travailler la problématique du harcèlement sur le Net. Ils ne comprennent pas toujours le rôle qu’ils ont à jouer face à cette problématique. Il sera donc intéressant de rappeler l’objectif de former le jeune à la citoyenneté et au vivre ensemble, qui est inhérent à la fois à la formation d’enseignant, ainsi que de travailleur social. En effet, l’Article 6, paragraphe 3 du Décret Mission nous dit qu’un des rôles de l’Enseignement est de

préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouvert aux autres cultures

Lorsque l’on met en place des activités de prévention au sein d’une école, on peut très vite se retrouver face à un paradoxe. En effet, l’idée de la prévention est de mettre des choses en place afin d’éviter l’apparition d’un hypothétique danger futur qui risquerait de causer un dommage. Cependant, il arrive qu’une école sollicite un service tel qu’une AMO lorsque le danger, voire le dommage, est déjà présent et bien installé. Comment faire de la prévention et éviter un danger, alors qu’il est déjà présent ? Pour être au clair avec cette notion de prévention, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) la découpe en trois niveaux que j’illustrerai par la problématique du harcèlement dans les écoles :

  • Tout d’abord, il y a la prévention primaire pour laquelle il s’agit d’éviter les risques par la suppression ou la réduction du danger. Dans ce premier cas de figure, il pourra par exemple s’agir d’une école qui désire travailler la problématique du harcèlement en travaillant de manière anticipée, alors qu’aucun fait connu ne s’est encore produit.
  • Ensuite, il y a la prévention secondaire qui a lieu lorsque le danger est déjà présent, mais qu’il est impossible de le supprimer. Ce niveau de prévention portera sur la diminution du risque qu’un dommage se produise. Ce deuxième cas de figure aura par exemple lieu lorsqu’une école aura remarqué plusieurs cas de harcèlement au sein de son établissement, mais désirera travailler afin d’éviter que des conséquences négatives n’en découlent.
  • Enfin, la prévention tertiaire a lieu lorsque les deux niveaux de prévention précédents ont échoué. Il s’agira de diminuer les effets du dommage ou tout du moins apaiser les souffrances. Il s’agira par exemple d’intervenir au sein de l’établissement après que le harcèlement ait eu des conséquences négatives, telles qu’un suicide.

Bien que, de prime abord, on pense davantage au travail communautaire lorsque l’on envisage l’accrochage scolaire, ce dernier est également travaillé individuellement lors d’entretiens. En effet, bien que le travail avec le jeune se fasse généralement lorsque la situation de décrochage scolaire est déjà bien installée, il s’agira de dépasser l’aspect curatif du suivi afin d’envisager ensemble, intervenant social et jeune, l’avenir. Il s’agira de mettre en place toute une série de comportements qui permettront au jeune de ne plus se retrouver à l’avenir en situation de décrochage scolaire. Lorsque l’on envisage de travailler avec un jeune en situation de décrochage scolaire, l’erreur est d’impérativement chercher à trouver des solutions au problème. Parler d’accrochage scolaire, c’est avant tout penser à ce que l’intervenant et le jeune pourront mettre en place, ensemble, pour sortir de cette situation nocive pour l’intéressé. Comme dit plus haut, le décrochage scolaire est un fait. Parler de décrochage scolaire, c’est envisager l’action, la mobilisation des différents acteurs. Il s’agira également de ne pas seulement envisager la manière de sortir de cette situation, mais bien de mettre des choses en place pour qu’à l’avenir le jeune ne vive plus cette situation.

La connotation positive de l’accrochage scolaire

Généralement, l’appellation « décrochage scolaire » est chargée d’une connotation négative. Cela est susceptible de jouer sur l’estime que le jeune a de lui-même. Selon Bernard DELVAUX, chercheur au sein de l’Université Catholique de Louvain (UCL), le décrochage scolaire est clairement associé à une destruction de l’estime de soi. Le sentiment d’efficacité du jeune diminue, ce qui affaiblit les chances de réussites de ce dernier. A partir de ce moment, l’escalade est facile. En effet, le jeune perd confiance en lui, en ses capacités, ce qui réduira ses chances de réussites et augmentera ses chances d’échec. Après chaque échec, il perdra encore davantage confiance en lui. Cette relation entre l’estime de soi du jeune et la réussite est également mise en avant par Jean-Pierre POURTOIS et Huguette DESMET au sein de leur ouvrage « L’éducation postmoderne ». En effet, ils nous expliquent que l’échec scolaire mène souvent le jeune à une baisse de son sentiment de capacité, accompagnée de la naissance d’un sentiment d’infériorité et d’une baisse de l’estime qu’il a de lui-même. En effet, le jeune, suite aux échecs scolaires vécus, va peu à peu perdre confiance en lui. Cette perte de confiance en lui va généralement encore susciter davantage d’échecs, ce qui va encore plus renforcer le sentiment d’incompétence. Le jeune peut se retrouver très vite enfermé au sein d’une spirale infernale. Cette perception négative de l’image de soi peut encore se voir renforcée si l’échec est commenté de manière négative par les professeurs ou les proches du jeune. De plus, le jeune en situation de décrochage scolaire vit régulièrement cela comme quelque chose de lourd. Il peut se sentir stigmatisé et culpabiliser, ce qui ne facilite pas ses chances de sortir de cette situation problématique. Dès lors, au-delà de l’aspect pratique, privilégier le terme « accrochage » à celui de « décrochage » permet de donner une certaine connotation positive à l’intervention réalisée auprès du jeune. En effet, le jeune en décrochage scolaire vit souvent cette situation comme étant quelque chose de lourd, il se sent généralement coupable et cela peut avoir un gros impact sur l’estime qu’il a de lui-même. Se focaliser sur les choses à mettre en place plutôt que sur la problématique en elle-même permettra au jeune d’être acteur à part entière dans le processus d’évolution de sa situation, ainsi qu’à regagner en estime de lui-même. On ne s’attardera plus sur les « faux pas » du jeune, mais plutôt sur la manière de se sortir de cette situation problématique, ainsi que d’éviter de replonger dedans à l’avenir.

En conclusion

Parler en termes d’accrochage scolaire permet avant tout de se focaliser sur les actions à mener et non pas sur la problématique en elle-même. Le jeune change de position par rapport au décrochage scolaire. Au lieu de le subir, le jeune mobilisera ses ressources personnelles et deviendra acteur du changement de sa situation. On sort de la spirale négative pour envisager l’avenir positivement. Travailler l’accrochage scolaire, c’est avant tout envisager des actions de prévention. Ces-dernières peuvent à la fois relever de la sphère communautaire (notamment par rapport au travail réalisé en partenariat avec les écoles), mais aussi au niveau individuel, par les actions et comportements que le jeune va mettre en place afin d’éviter de replonger dans une situation similaire à l’avenir. La situation de décrochage scolaire peut s’avérer lourde pour le jeune, diminuant son sentiment d’efficacité, ce qui augmente le risque d’échecs. Parler d’accrochage permet d’envisager positivement, avec le jeune, une manière de sortir de sa situation. On pense à la manière de l’activer, de le rendre acteur de son changement, et ainsi augmenter son sentiment de compétence. Bref, lorsque l’on parle d’accrochage scolaire, on va sortir de la problématique pour envisager les actions qui peuvent être mises en place, que ce soit avec le jeune, les écoles ou encore d’autres services…

Le nouveau code de l’aide à la jeunesse

Le nouveau code

Le rapport à l’autorité

Depuis quelques décennies, parents, éducateurs, enseignants, sont confrontés à des difficultés majeures quand il s’agit de faire valoir leur autorité auprès d’un jeune. Il semble que, pour l’adulte, ce qui allait de soi hier ne l’est plus aujourd’hui. Comment comprendre cette crise de l’autorité ? Y a-t-il vraiment démission des parents, comme on l’entend souvent ? La société est-elle trop permissive avec nos petites têtes blondes ? Faut-il faire marche arrière ? Mais est-il seulement possible de faire marche arrière ? 

Avant toute chose,  commençons par tenter de clarifier ce concept. D’après le petit Larousse, l’autorité peut être définie comme :

  1. Pouvoir de décider ou de commander, d’imposer ses volontés à autrui 
  2. Ensemble de qualités par lesquelles quelqu’un impose à autrui sa personnalité, ascendant grâce auquel quelqu’un se fait respecter, obéir, écouter.
  3. Crédit, influence, pouvoir dont jouit quelqu’un ou un groupe dans le domaine de la connaissance ou d’une activité quelconque, du fait de sa valeur, de son expérience, de sa position dans la société, etc. ; caractère de quelque chose dont la valeur, le sérieux, communément reconnus, lui permettent de servir de référence : L’autorité des Anciens. Autorité d’un ouvrage, d’une étude.
Il est important de comprendre qu’il existe différents facteurs qui permettent de faire valoir son autorité sur un groupe ou une personne. Cela rend, en quelque sorte, légitime son exercice.

L’autorité ne correspond pas forcément à une qualité intrinsèque, mais à une attribution ou une conférence qui légitime le pouvoir de commander et d’être obéi. Plusieurs sources de légitimation de l’autorité peuvent être distinguées : l’expérience (ou les capacités), la position (fonction, structure), et le pouvoir. Ce sont des formes d’autorité différentes. Elles peuvent se cumuler ou être différenciées.

Un parent exerce une autorité sur ses enfants de par sa position et sa fonction au sein de la famille (socialement acceptée). Son expérience et ses capacités peuvent légitimer, au regard des enfants, l’exercice de son autorité mais il peut aussi l’imposer en les dominant, en imposant, en les forçant à obéïr  (à ce moment, il fonde son autorité sur le pouvoir).

Ces différents facteurs peuvent donc renforcer ou, au contraire, déforcer l’autorité d’une personne.

Un enseignant dont sa valeur (capacité, expérience) n’est pas reconnue par ses élèves sera mis à mal et rencontrera  des difficultés à se faire respecter et à être écouté. Peut-être pourra-t-il compenser cela en exerçant une plus grande domination (pouvoir). 

Quand on parle d’éducation, et ce, jusqu’aux années 70, la forme d’autorité fondée sur le pouvoir a été favorisée dans les familles, mais aussi au sein des établissements scolaires. Pour son bien, on attend de l’enfant qu’il se soumette à l’autorité de ses parents, de son professeur, sans qu’il se pose de questions. L’enfant devient adulte dans l’obéissance et la discipline afin de s’insérer au mieux dans la société. Ce modèle d’autorité a, évidemment, été légitimé par la société, par les familles, les structures. L’autorité d’un professeur, par exemple, était rarement remise en question (par les parents, enfants,…), l’enfant devait se soumettre, au-delà de la considération du sens et de la compréhension. On n’attendait pas de lui qu’il comprenne, qu’il réfléchisse, mais qu’il obéisse. 

Dans son livre : « Enfants et adolescents en mutation », le thérapeute systémicien Jean-Paul Gaillard  tente d’apporter un éclairage sur l’évolution de cette notion. Il explique que l’autorité qui « allait de soi » dans la société moderne ou dans « le monde finissant » (jusque dans les années 70)  était construite sur le modèle du « pater familias »  et fondée sur l’exercice d’un pouvoir symbolique sur l’autre. Cette autorité de mode paternel induit  chez l’autre l’injonction à ne pas penser par lui-même et à obéir tout simplement à la figure d’autorité (un parent, un enseignant, un éducateur)  Fais ce que je dis, pas ce que je fais !!  C’est donc un processus circulaire qui enchaine autorité de l’un / soumission de l’autre. 

L’on pourrait également citer la célèbre expérience de Milgram qui démontre, en quelque sorte, l’impact de ce modèle d’autorité. Soumis à une figure d’autorité, légitimé par sa fonction et son statut (un scientifique dans ce cas précis), une majorité des candidats ayant participé à cette expérience se sont montrés capable d’infliger des décharges électriques (fictives) pouvant entrainer la mort à des personnes se trouvant dans une autre pièce. Le respect et la soumission à l’autorité est passé au premier plan, reléguant la réflexion, l’esprit critique et la responsabilité personnelle au second plan.

Attention, suite à ces constats, le risque est grand d’induire un jugement très négatif sur un modèle éducatif qui existe depuis des dizaines, voire de centaines d’années et qui est encore à l’œuvre dans de nombreuses familles. Il est évident que la grande majorité des parents, enseignants, éducateurs pense avant tout agir pour le bien de l’enfant. Se basant sur l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçu et définissant « autorité » et « discipline » par le prisme de leurs croyances, de leur expérience, de leur vécu.

L’évolution de la notion d’autorité :

Aujourd’hui, il semble que les fondements sur lesquels s’appuyaient l’exercice de l’autorité dans les familles ont évolué, ont muté. Avec une répercussion significative sur le comportement de nos enfants.

Leur place au sein de la cellule familiale a changé. Dans notre société où l’on cultive la «réalisation de soi», il se trouve au centre des interactions familiales, on souhaite qu’il s’émancipe, se réalise, il doit trouver son chemin. Il faut également lui éviter les souffrances inutiles, le bien-être et le bonheur sont des quêtes incessantes. Chaque enfant doit vivre sa vie, il est un être singulier, unique. 

Cette nouvelle donne est-elle compatible avec le modèle d’autorité basé sur le pouvoir et son processus de « domination / soumission » ? 

Le clash est inévitable, le paradoxe consommé : Nous poussons notre enfant à s’accomplir personnellement, à penser par lui-même, à révéler sa propre personnalité, à trouver le chemin du bien-être et du bonheur,… Mais en même temps il doit obéir, sans rechigner, aux exigences d’un père, d’une mère, d’un prof, sans poser et se poser de questions. Il doit respecter ce jeu de l’autorité tel que défini par les adultes et la société moderne.

Cette nouvelle génération, sculptée par les valeurs susmentionnées, peut-elle encore comprendre, accepter et percevoir l’autorité  comme leurs parents ? 

« Le recentrage sur l’individu et la redéfinition  de son identité par et pour lui-même, implique, de fait, un recentrage de l’autorité sur et pour lui-même »

Jean-Paul Gaillard

Il explique que l’évolution sociétale amène une migration de l’autorité de l’extérieur vers l’intérieur de l’individu. L’auto-discipline et l’autorité sur soi se développe, rendant difficile le respect d’une autorité, d’une discipline imposée par l’extérieur. 

Cela change beaucoup de choses dans la relation avec l’autre. En effet, cela semble difficile pour le jeune de respecter ce jeu circulaire de domination/soumission qu’il ne comprend pas et qui le rend perplexe.  

Par ailleurs, pour beaucoup d’adultes, cette évolution est inconcevable et incompréhensible tellement l’autorité  fondée sur le pouvoir  est imprégnée en eux. Ne pouvant pas concevoir une autorité basée sur un modèle différent, pris dans un piège qu’ils ont eux même construit,  il n’est pas rare de voir les rôles s’inverser et donc de voir des adultes se soumettre eux-mêmes à l’autorité de leur enfant. C’est comme si, pour l’adulte, il n’existait que deux postures possibles : Etre obéi de manière inconditionnelle par son enfant, et donc le dominer, ou se soumettre aux désirs de celui-ci, et donc être dominé…. Cela engendre de nombreuses frustrations au sein des familles mais aussi à l’école.

Aujourd’hui, il semble qu’un nouveau modèle d’autorité émerge et induit une redéfinition de la relation et du lien. 

Moins basé sur la domination et plus sur la coopération, la responsabilisation, le dialogue, l’empathie,… ce nouveau modèle permet d’attiser la réflexion et la compréhension chez l’enfant. Elle favorise également l’autonomie de l’enfant et l’auto-discipline. 

Cela ne signifie pas pour autant une absence de règles et de limites (cela serait retomber dans les travers expliqués plus haut), Mais la manière dont celles-ci sont amenées, gérées,… Diffère. En activant d’autres formes d’autorité, on favorise l’émergence d’autres compétences chez l’enfant.

Un courant d’éducation « positive » émerge et se développe. Cette méthode se veut ni permissive, ni punitive. Elle a pour vocation de développer chez l’enfant l’auto discipline, le sens des responsabilités, l’autonomie, l’envie d’apprendre, le respect mutuel,… Dans cette démarche, l’autorité s’exerce sans soumission, en conciliant fermeté et bienveillance. 

La position et la posture prise par l’adulte change tout à fait par rapport au modèle antérieur.  Plus dans une démarche d’accompagnement et d’écoute, il aide l’enfant à développer ses compétences sociales, son estime de soi, son autonomie. 

Au-delà des considérations purement manichéennes qui consisteraient à savoir si cette méthode éducative est moins bonne ou meilleure qu’une autre, elle semble néanmoins être en adéquation avec l’évolution sociétale et cette recherche incessante du développement personnel.

Jean-Paul Gaillard développe également cela à travers  son modèle « Egalitataire ». Remplacer la verticalité de la relation  par  plus d’horizontalité. L’enfant n’est plus regardé de haut, comme cela se passe avec l’autorité de mode paternel. L’adulte prend une autre position où son rôle consiste à attiser réflexion, responsabilisation, coopération chez l’enfant. Il devient un modèle consistant pour celui-ci, on sort du « fais ce que je dis, pas ce que je fais ». L’enfant n’est pas pour autant livré à lui-même, décidant seul de ce qui est bon ou pas pour son développement. L’adulte est présent et balise l’éducation de son enfant par des règles, parfois négociable, parfois non négociable (quand il s’agit de sécurité et de protection par exemple). 

Conclusion

L’intérêt de cet article n’est nullement de considérer un modèle d’autorité, et plus largement d’éducation, comme supérieur à un autre. Nous souhaitions partir de constats afin de faire le point et réfléchir sur une notion qui pose aujourd’hui de plus en plus de difficulté aux adultes. 

Un réflexe bien courant est de penser que « c’était mieux avant », qu’il suffit donc revenir en arrière pour que la situation s’améliore. Cependant, nous nous rendons bien compte que la société d’hier n’est plus.  Ses normes, ses valeurs ont changé. Pas pour le pire, pas pour le meilleur, elles ont tout simplement changé !!  

Les mutations actuelles engendrent inévitablement des modifications profondes dans la perception et la compréhension de notions qui paraissaient si évidente pour les générations passées.

L’adaptation à cette nouvelle donne passe, inexorablement, par la compréhension du phénomène qui est, comme bien souvent, plus complexe qu’il n’y paraît. 

Les solutions alors ?? Le danger, bien connu des travailleurs sociaux, est de tomber dans le piège du « faire plus de la même chose », même si cela ne marche pas. Cela ne permet pas l’adaptation à des nouvelles données et amène bien souvent une rigidification des positions et des mesures : plus de sévérité, plus de sanctions, plus d’autorité (fondée sur le pouvoir), plus d’incompréhensions. C’est d’ailleurs la tendance actuelle dans bien des domaines dans notre société. 

Savoir et Créativité semble être un bon cocktail de départ pour changer, s’adapter, éviter les pièges et les raccourcis intellectuels. De nombreuses lectures traitent du sujet, de nombreuses pistes ne demandent qu’à être explorées, approfondies, expérimentées… reste plus qu’à se mettre au travail !!!

Bibliographie et références :
  • Jean Paul Gaillard, Enfants et adolescents en mutation, ESF editeur, France, 2014.
  • Thomas Gordon, Eduquer sans punir, Editions de l’Homme, 2003.
  • NELSEN Jane, La discipline positive), Paris, éditions du Toucan, 1981.
  • BLAIS Marie-Claude, l’éducation est-elle possible dans le concours de la famille ? Yapaka, collect. Temps d’arrêt, 2008.
  • POURTOIS Jean-Pierre et DESMET Huguette, L’éducation postmoderne, paris, PUF, 1997.
  • Stanley Milgram, Soumission à l’autorité, Almann-Levy, col. Liberté d’esprit, 1974. 
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