Confronté à des difficultés dans l’aide à des familles, on a une tendance naturelle à poser un diagnostic qui pointe le dysfonctionnement en jeu. Celui-ci est nécessairement basé sur des concepts négatifs. Ce mode d’approche est certainement bien adapté pour l’analyse. Nos rapports, nos dossiers en sont remplis et c’est d’ailleurs par eux que nous « rencontrons » souvent pour la première fois une famille ou des personnes en problème. Mais cela coince quand il s’agit de mettre en œuvre une solution. Car les solutions se basent sur des compétences, des ressources que l’on doit nécessairement activer chez les jeunes, les parents dont on s’occupe. Ausloos propose d’arrêter de parler de famille dysfonctionnelle pour passer à une approche de famille fonctionnant autrement. Il enchaine sur : « une famille ne peut se poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre».
comment peut-on rencontrer la compétence des familles lorsque l’image qu’elles renvoient est décrite en termes négatifs ?
il est important de changer notre regard, notre vocabulaire. Lorsque l’on parle de parents non collaborant, de mères surprotectrices…, rien que l’étiquette qu’on leur donne aggrave le problème. Par contre, les parents sont étonnés lorsque l’on relève leurs compétences
Pour illustrer ce propos, on va reprendre une famille dont monsieur Ausloos a expliqué le parcours dans son intervention au colloque susmentionné. Un père et son fils lui sont adressés au motif que le premier est alcoolique et ne s’occupe pas de son enfant. Il est chauffeur de poids lourd et à ce titre se lève tôt la semaine. Au cours de l’entretien vient sur le tapis la question de qui fait quoi le week-end. Le samedi, très tôt le matin (aux environs de 7h), le père se lève pour conduire son fils en compétition de baseball. Là au bord du terrain, il va à la buvette.
Guy Ausloos lui fait alors remarquer qu’il se lève tôt pour que son fils puisse pratiquer son sport préféré. Le père sans se départir répond qu’il le fait parce qu’il aime particulièrement ce sport-là. Alors il insiste sur le fait qu’il s’agit d’un jour de repos et qu’il fait cela parce qu’il aime son fils…et le père de dire « oui j’aime bien mon fils »…et ses yeux se remplissent de larmes.
Pourquoi l’étonnement provoque-t-il un changement ?
l’étonnement, c’est commencer à regarder un peu différemment. Si un parent commence à regarder un peu différemment son enfant, quelque chose va changer dans leur relation. Souvent, les parents sont heurtés par ce qui est le plus visible et occultent d’autres choses. Le rôle du thérapeute est d’informer les familles sur ce qu’elles savent sans savoir qu’elles le savent. Il s’agit d’activer un processus qui modifie leur réalité, de sorte que ce qu’il énonçait comme problématique ne le soit plus
Si on reprend la situation de la question précédente, on constatera que le côté le plus visible est l’alcoolisme du père et qu’il aime le baseball. Cela épuise le sens pour la famille. Pointer le fait de se lever très tôt chaque semaine lors d’un jour de congé amène automatiquement chacun à prendre conscience qu’il en faut plus pour accomplir cet acte. La motivation ici est le fait d’aimer.
Cela change pour le père lui-même puisqu’il dit avec émotion forte qu’il est profondément attaché à son enfant et qu’il ne fait pas tout cela parce qu’il aime le baseball.
Cela change pour le fils qui entend l’attachement de son père à lui et sa motivation profonde. Si auparavant, il croyait à la motivation pour le sport de son père, il entend cette fois autre chose.
Comme le dit Guy Ausloos, toutes ces informations la famille les avait déjà en sa possession.
Comment étonner les familles ?
il est important de connoter positivement le système ou le patient désigné. C’est-à-dire souligner ce qu’il y a de positif dans le fonctionnement du système ou dans le comportement du patient. C’est passer d’une définition pathologique de la famille à l’activation de ses compétences. J’utilise la méchante connotation positive. Elle connote ce qui a gêné de manière positive. Je cherche ainsi l’aspect positif de ce qui déplaît. Je commence par dire ce qui est déplaisant et en tire comme conséquence la constatation positive en joignant les deux propositions par la conjonction « mais ».
Cette manière d’utiliser le « mais » étonne l’interlocuteur. En commençant par aborder l’aspect négatif des choses ; on le rend attentif par ce fait même; ensuite on gagne sa confiance en se montrant honnête puisqu’on ose dire des choses qui ne sont pas nécessairement plaisantes et je place le « mais » qui affaiblit la proposition qui précède à savoir la négative pour terminer avec la connotation positive…
La prescription est une autre manière de provoquer l’étonnement. Proposer une expérience à faire afin que les membres de la famille observent leurs comportements permet déjà un changement. De plus, cela renforce l’alliance et l’adhésion de la famille au processus ».
Dans son livre « La compétence des familles », Guy Ausloos souligne que pour lui, toutes les familles ont des compétences mais dans certaines situations, soit elles ne savent pas les utiliser actuellement, soit elles ne savent pas qu’elles en ont, soit elles sont empêchées de les utiliser, soit elles s’empêchent elles-mêmes de les utiliser pour différentes raisons.
Le rôle de l’intervenant n’est plus de conseiller la famille ou d’identifier ce qui ne va pas pour elle, mais au contraire de travailler avec la famille à retrouver ou à découvrir ce qu’elle sait, à réinventer les solutions, à résoudre ses problèmes en la considérant comme partenaire dans l’intervention.
En définitive, pour recueillir toutes les opportunités des réactions liées à l’étonnement, privilégions notre créativité et favorisons les interventions les plus détonantes !
Le jeudi 1er octobre 2015 lors de la présentation du jeu « Why net ? » le conférencier du jour, P. Minotte psychologue et directeur du Centre de Référence en Santé Mentale, nous a accordé une interview.
Pour résoudre des problèmes d’éducation, on dit souvent qu’il faut dialoguer. Comment des parents non utilisateurs d’Internet peuvent-ils entamer un dialogue avec leurs enfants sur un sujet qu’ils ne connaissent pas, ne maîtrisent pas ?
Le plus simple pour un parent, c’est de commencer en demandant à son enfant, à son ado comment cela fonctionne. Cela peut déjà constituer la base d’un dialogue. Évidemment, on est là dans un positionnement un peu inversé. En effet, ce sont les parents qui expliquent en général comment les choses fonctionnent. Cela peut être intéressant, valorisant de mettre son enfant ou son ado dans la position de celui qui explique comment cela marche. Ensuite, je dirais que les valeurs à transmettre à son enfant sont transversales à l’éducation que ce soit Internet ou autre chose. Le parent est un référent en matière de valeurs à transmettre. Donc, ce n’est pas parce qu’on parle d’Internet que les valeurs sont dépassées. Un parent peut être dépassé par une technologie mais à priori, il peut mobiliser ses valeurs pour les transmettre à son enfant.
Régulièrement, dans la presse, il est fait état d’événements inquiétants à cause de l’utilisation des réseaux sociaux. Exemple : des jeunes pris à partie par leurs condisciples scolaires, des jeunes filles se dévêtissant pour leur petit ami qui ensuite dissémine leurs portraits… Donc peur, méfiance… et de l’autre les médias suscitent maintenant les auditeurs ou les spectateurs à intervenir en utilisant ces mêmes réseaux sociaux comme par exemple « The Voice » pour les votes à la RTBF, de même « On refait le monde » sur Bel RTL etc. Donc, ici, on valorise le côté attrayant, branché. N’est-ce pas un paradoxe ?
Effectivement, je pense qu’il y a une grande ambivalence sociétale concernant toutes les nouveautés technologiques. De façon générale, c’est quelque chose que l’on observe dans l’histoire de l’humanité. A la fois, ça fascine et cela inspire des craintes. Mais en moyenne, on est plutôt enthousiaste puisque visiblement on achète ces technologies. Vous évoquez aussi les médias traditionnels qui ont également une relation très particulière, ambivalente par rapport à ce nouveau média qu’est Internet. C’est un concurrent qui vient quelque part un peu les remplacer dans les usages… en tout cas, chez certains jeunes, chez certains publics qui finalement finissent par ne plus passer que par Internet. D’un côté, ces médias ne sont pas avares pour évoquer tous les problèmes liés à celui-ci et en même temps, ils vont l’utiliser pour essayer d’être un peu plus interactif et correspondre aux exigences actuelles. La télévision en est un bon exemple car elle n’est pas interactive et n’a pas été prévue pour cela. Elle est le contraire de la mode actuelle. Effectivement, il y a une ambivalence.
Des personnes pensent que les jeux vidéo suscitent la violence chez les pratiquants voire des scénarii d’actes malveillants. Vrai ou faux ?
Alors oui, cela est une vaste question. Je pense qu’il ne faut pas partir sur cette idée en tenant compte de l’ensemble de la population, des jeunes. Tous les jeunes, à l’heure actuelle, jouent ou ont joué à des jeux vidéo qui ont des contenus violents et pour autant, tous ces jeunes ne sont pas devenus violents ou sociopathes… ou que sais-je. Au contraire, on est très loin de là. Donc, le lien entre jeu vidéo violent et violence réelle ou passage à l’acte dans la réalité n’est pas un lien direct et irréfutable. Par contre, on peut observer qu’à force de pratiquer des jeux violents et voir des films ou séries violentes, n’a pas un effet positifs sur les personnes fragiles. On est dans quelque chose qui alimente un imaginaire autour de la violence et éventuellement l’idée que la violence est une réponse acceptable. Mais, pour la population lambda, où l’on transmet un certain nombre de valeurs à un enfant qui vit dans un contexte où les références sont claires par rapport à la violence et qui n’a subi aucun traumatisme, à priori, les jeux violents ne font pas de lui un adulte violent.
Y a-t-il de l’addiction aux jeux vidéo, aux réseaux sociaux ?
De mon point de vue personnel, il y a des usages excessifs. Parler d’addiction n’est pas l’expression que je vais utiliser mais je reprendrai plutôt l’idée de compulsion, d’usage compulsif. J’aime les expressions sobres qui ne pathologisent pas trop. Je dirai donc que dans les services thérapeutiques, on voit surtout des usages excessifs de jeux vidéo. Pour ce qui est des réseaux sociaux, on connaît tous des personnes qui ont un usage qui nous questionnent en se disant « tiens est-ce que ce n’est pas beaucoup ? » mais vraiment un usage qui correspondrait à quelque chose de pathologique, on est plutôt autour des jeux vidéo. Alors cet usage excessif est le plus souvent le symptôme d’un mal-être et qui peut être de plusieurs types. Donc, plutôt que de parler d’addiction, moi, je dirais que l’on a des usages excessifs qui sont le symptôme d’une problématique qui est en lien avec l’adolescence, avec le fait de devenir adulte, des problèmes familiaux etc.
Dans le traitement de personnes accro des jeux vidéo ou réseaux sociaux, avez-vous un ou plusieurs conseils, recommandations à donner ?
Le conseil que je pourrais donner est : qu’est ce qui va caractériser ses usages excessifs et problématiques. Ce sont des symptômes derrière lesquels il y a une souffrance. Généralement, ce n’est pas : « je n’arrête pas de jouer aux jeux vidéo juste parce que je ne peux pas m’en empêcher. C’est plus compliqué que cela. Souvent, jouer de façon excessive permet de fuir une réalité difficile à vivre. Exemple classique, l’adolescent qui vit dans un milieu familial où les parents ne s’entendent pas du tout. Cela devient son échappatoire. Je pense qu’au départ, l’intérêt n’est pas de se focaliser sur la pratique du jeu vidéo et vouloir y mettre fin car cela risque d’amener la rupture avec le jeune. Il comprendra très vite que l’on veut juste qu’il arrête de jouer à ces jeux. Il ne sera pas d’accord avec cela. Mais, c’est vraiment plutôt se questionner et aller questionner la souffrance qui est là derrière en se demandant : « de quoi cette pratique excessive de jeu est le symptôme ? » et ainsi avoir une intervention de ce côté-là. Donc, aller au-delà du symptôme pourra réguler d’autant plus facilement cette pratique.
Des professeurs nous disent : « on ne peut rien faire car c’est en dehors de l’école que cela se passe ». L’école a-t-elle un rôle à jouer ou pas dans cette problématique ?
Oui, l’école a une place à donner notamment à ce que l’on appelle l’éducation aux médias. L’éducation aux médias, c’est apprendre aux élèves à devenir des utilisateurs avertis. Cela concerne évidemment Internet mais aussi la télévision…et tous les médias. Ce n’est pas un cours sur la transmission des valeurs en disant que c’est mieux de regarder le « JT » que « Secret Story » mais plutôt donner des outils aux jeunes pour analyser comment ces programment sont construits. Cela a toute sa place à l’école. Ensuite, la question des valeurs et de la moralité peut éventuellement être réfléchie à l’école, mais cela doit plutôt être abordé par les parents. L’éducation aux médias n’a pas assez de place à l’école.
Ce que l’on retrouve le plus à l’école, c’est l’initiative d’intégration des TIC dans les cours ; ce qui donne une plus-value à l’enseignement. Cela permet à la fois de se familiariser avec la technologie et donne un plus à l’apprentissage de la matière. Ce sont des initiatives fortement intéressantes et il est important que cela se fasse. Mais, c’est aussi important en terme de justice sociale : dans certaines familles, certains parents maîtrisent bien tout cet aspect de la vie mais par contre, pour d’autres, ce n’est pas du tout le cas. Des enfants sont livrés eux-mêmes car les parents n’ont pas les compétences. Cela se traduit par un retard conséquent fort préjudiciable pour la vie future. A l’heure actuelle, la maîtrise des outils informatiques est un atout permettant d’accéder à un emploi… oui, c’est un rôle important que l’école doit jouer.
Aux États-Unis, on constate une augmentation importante des indépendants, qui sont en fait des travailleurs utilisant des applications sur Smartphones pour développer leur travail et entrer en contact avec des clients potentiels. C’est un peu le même principe qu’Uber. Si Internet s’immisce déjà comme cela dans les relations du monde du travail, au lieu d’avoir peur, ne faudrait-il pas, au contraire, encourager son utilisation chez les jeunes ?
L’enjeu principal autour d’Internet et des nouvelles technologies n’est pas tant de prévenir les usages problématiques que d’enseigner des bons usages. Ceux-ci sont essentiels pour l’emploi, pour construire l’emploi et pouvoir s’adapter aux emplois futurs qui seront proposés. Le mouvement est déjà actuellement en marche. Il faut dès maintenant arriver à avoir sur Internet une identité numérique correcte, une présentation correcte, maîtriser toutes les informations que l’on va laisser sur soi. L’idée à transmettre auprès des jeunes n’est pas qu’il faut à tout prix se cacher, ne pas se montrer mais plutôt les amener à réfléchir sur: c’est quoi les bonnes informations à donner qui pourront me servir, comme par exemple, pour trouver un travail ? L’enjeu, il est plus dans la construction de compétences de bons usages des nouvelles technologies et pas dans l’interdit.